L’élection québécoise de ce lundi marque la fin d’une époque. L’appui aux deux partis de l’establishment, le PQ et les libéraux, s’est effondré et a atteint son niveau le plus bas dans l’histoire. C’est la CAQ qui en a profité, elle qui formera un gouvernement majoritaire. Mais cette élection marque aussi une polarisation à gauche avec Québec solidaire qui a plus que doublé son pourcentage du vote et est passé de trois sièges à dix. Cette situation sans précédent ouvre une nouvelle période de lutte de classe contre le gouvernement caquiste.
L’establishment puni
Cette élection s’inscrit dans la tendance à la polarisation politique qu’on a pu constater partout à travers le monde dans les dernières années. La colère et la frustration des travailleurs contre les partis qui ont été au gouvernement lors des années d’austérité et de corruption ont laissé des traces. Le total des suffrages recueillis par le PQ et les libéraux s’est effondré pour atteindre moins de 42% des voix exprimées, une perte de 1,1 million de votes par rapport à 2014. Le PQ a été pulvérisé, et les libéraux ont obtenu leur score le plus bas depuis la Confédération en 1867. Le désir de changement était palpable bien avant les élections et ce résultat ne devrait surprendre personne.
Parti | Pourcentage des votes | Sièges |
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Coalition Avenir Québec | 37.41% (+14.36) | 74 (+53) |
Libéraux | 24.82% (-16.7) | 32 (-36) |
Québec solidaire | 16.09% (+8.46) | 10 (+7) |
Parti québécois | 17.06% (-8.32) | 9 (-19) |
La CAQ, fondée il y a seulement sept ans, a réussi à véhiculer cette colère, elle qui a vu son pourcentage du vote passer de 23 à 37%. Québec solidaire, un parti auparavant plutôt marginal, a plus que doublé sa part du vote, et il représente maintenant une force considérable dans le paysage politique québécois. Le PQ s’en trouve réduit à la quatrième place quant au nombre de sièges et cède la troisième place à QS, un fait sans précédent depuis la fondation du parti il y a 12 ans.
Le PQ sur la voie de la destruction
Le plus grand perdant de cette élection est le Parti québécois. Le parti nationaliste de masse de René Lévesque, qui a tenu deux référendums, a été complètement dévasté. Il est maintenant réduit à neuf sièges et a obtenu un maigre 17% des voix. Mais ce résultat était écrit dans le ciel longtemps avant cette élection. Avec la crise économique et la montée de la lutte des classes au cours des dernières années, le PQ a vécu une série de crises internes et de scissions.
Ce parti, qui historiquement avait réussi à unir les différentes classes en vue d’une lutte nationale pour l’accession à la souveraineté, s’est déchiré au fil des ans. Les travailleurs et les syndicats ont délaissé le parti sur la gauche, tandis que des figures plus ouvertement bourgeoises comme le nouveau premier ministre Legault ont quitté à la droite pour se coaliser autour de la CAQ.
Le désespoir dans le camp du PQ lors de la campagne était évident. Le chef du parti, Jean-François Lisée, a paniqué et s’est lancé dans une série d’attaques hystériques et malhonnêtescontre QS. Cette manoeuvre s’est retournée contre lui et n’a fait que cimenter la chute du parti. La réussite de QS montre que le fait de le traiter de parti « anticapitaliste » et « ancré dans le marxisme » n’a pas dissuadé les électeurs, eux qui cherchaient une rupture radicale avec le statu quo.
Le désarroi et la confusion du PQ étaient évidents le soir des élections. Lisée a démissionné de son poste de chef et en a profité pour blâmer à nouveau QS, affirmant que « si le congrès de QS avait accepté notre main tendue, il y a fort à parier que l’élection de ce soir offrirait un tout autre résultat. L’intense activité militante que nous avons dû concentrer pour nous battre dans nos propres comtés, nous les aurions déployé ensemble pour conquérir d’autres circonscriptions et qui sait, changer l’issue du scrutin aujourd’hui. » C’était là une référence aux membres de QS qui ont rejeté toute alliance avec le PQ à leur congrès de mai 2017.
Avec QS qui a dépassé le PQ, celui-ci est en voie de destruction. À chaque élection sans exception, le PQ emploie l’argument usé à la corde du vote stratégique pour unir les « progressistes » ou les souverainistes. Mais cet argument fonctionne seulement lorsqu’on est le parti le plus gros. Maintenant que QS est devant le PQ, il n’existe littéralement aucune raison de voter PQ. Les rats avaient déjà commencé à quitter le navire qui coule avant l’élection : en effet, de nombreux péquistes de longue date ne se sont pas représentés ou se sont présentés pour la CAQ. Ce résultat électoral va simplement accentuer cette tendance et il est possible que le PQ se retrouve dans une situation semblable à celle du Bloc québécois au fédéral. L’éradication complète de ce parti est maintenant une réelle possibilité.
La montée de Québec solidaire
L’une des principales caractéristiques de cette campagne a été la montée de Québec solidaire. Le parti a mené une campagne de gauche mettant l’accent sur des propositions audacieuses comme l’éducation gratuite, l’assurance dentaire gratuite, une expansion et un investissement massifs dans le transport public et l’application immédiate du salaire minimum à 15$ l’heure, entre autres.
Habituellement considérée comme une force « montréalocentriste », QS a vu ses appuis augmenter à travers tout le Québec et a réussi à gagner deux sièges à Québec, un à Sherbrooke et un autre à Rouyn-Noranda-Témiscaminque. De plus, avec l’effondrement du PQ et des libéraux, QS a réussi à terminer en deuxième place dans 14 circonscriptions.
Avec la crise inévitable qui va frapper le PQ après cette claque au visage et la défaite de leur chef dans son propre comté, la table est mise pour que QS devienne la principale opposition face aux attaques de Legault. La politique de voter pour le PQ comme « moindre mal » a été un outil de choix pour les capitalistes afin de canaliser sans danger la colère des masses contre les libéraux. Mais cette option est maintenant fort probablement une chose du passé.
De plus, alors que la bureaucratie syndicale a historiquement entretenu une relation cordiale avec le PQ, cette position sera de moins en moins tenable. Bien que certains syndicats comme le Conseil central du Montréal Métropolitain (CSN), à la gauche du mouvement ouvrier, ont appuyé QS depuis le début, la plupart des syndicats, cette fois-ci, n’ont fait que s’opposer aux libéraux et à la CAQ tout en apportant une aide ponctuelle à certains candidats du PQ et de QS. Avec le PQ qui est en voie de devenir un joueur moins important que QS et considérant que les positions de QS sont beaucoup plus proches du mouvement syndical, cette position est de moins en moins justifiable. La logique de la situation va pousser les syndicats davantage dans la direction de Québec solidaire.
Combattons la CAQ!
L’écrasante victoire de la CAQ aux élections a provoqué une onde de choc partout au Québec. Possédant la majorité des sièges, Legault peut gouverner sans compromis. Son parti a toujours représenté l’aile de la bourgeoisie la plus impatiente de sabrer dans l’État-providence et de continuer ce que les libéraux sous Charest ont entamé quand ils ont été élus pour la première fois en 2003. Legault, cependant, a sournoisement caché ses véritables intentions durant la campagne électorale. Nous ne devons pas nous laisser berner. Ce gouvernement en sera un de mesures d’austérité vicieuses et d’attaques contre le mouvement ouvrier.
De plus, ce gouvernement sera le plus intolérant et le plus anti-immigration de l’histoire récente. La CAQ promet de réduire l’immigration de 50 000 à 40 000 par année. C’est surtout elle qui a récemment tenté de mousser la question de l’identité québécoise et s’est servi du nationalisme pour gagner des appuis. La CAQ propose de faire passer aux nouveaux immigrants un test des valeurs et a promis d’expulser ceux n’ayant pas appris le français après un délai de trois ans. Cette proposition a été accueillie chaleureusement par La Meute, un groupe d’extrême-droite qui s’est fait connaître par ses méthodes d’intimidation envers les immigrants et les demandeurs d’asile. Durant la campagne, lorsqu’une femme l’a abordé en lui disant que les immigrants « nous effacent », Legault lui a répondu qu’il se battrait pour « nous » (québécois) et l’a invité à voter pour lui. Le lendemain de l’élection, le chef de la CAQ a affirmé qu’il utiliserait la disposition de dérogation afin d’interdire le port du hijab aux travailleuses du secteur public.
Alors que beaucoup de gens sont déprimés par le résultat des élections, nous ne devons pas désespérer. Bien que la CAQ aie gagné une majorité, cela ne veut pas dire qu’elle a le soutien de la majorité de la population. Avec seulement 37% des suffrages, Legault se retrouve à la tête du gouvernement majoritaire ayant obtenu avec le pourcentage de voix le plus faible de l’histoire de la province. De plus, le taux de participation a été à son plus bas en 10 ans, à 67%. Pour comparer, il s’élevait à 71,4% en 2014 et à 74,6% en 2012. Des dizaines de milliers d’électeurs ont puni l’establishment politique tout simplement en restant à la maison.
Ce gouvernement peut être défié et vaincu. Mais cela ne peut se faire seulement à l’Assemblée nationale, où la CAQ peut utiliser sa majorité pour faire passer ses lois sans obstacle. Cela doit se faire dans la rue. Le souvenir du mouvement étudiant de 2012 est toujours frais dans la mémoire de la population et les traditions combatives des mouvements ouvriers et étudiants doivent renaître pour bloquer ce gouvernement.
Les syndicats québécois sont probablement les plus forts en Amérique du Nord, représentant plus de 40% des travailleurs de la province. Ils possèdent d’immenses ressources et une très grande capacité de mobilisation grâce auxquelles ils doivent immédiatement passer à l’action. Il appartient à la direction des syndicats de préparer une campagne de masse de désobéissance civile, de grèves et d’occupations pour stopper Legault à chaque fois qu’il essaie de s’attaquer aux droits des travailleurs et de la jeunesse et d’appliquer des coupes ou des politiques racistes. Malheureusement, Daniel Boyer de la FTQ a affirmé qu’il donnerait « la chance au coureur. » Il ajoute : « Je suis prêt à m'asseoir avec le gouvernement de la CAQ, avec François Legault, pour qu'on puisse travailler ensemble et faire avancer le Québec. »
Soyons francs. Cette attitude naïve de conciliation avec un parti que Boyer lui-même décrit comme étant « le parti [..] le plus éloigné des organisations syndicales » mènera directement à la défaite. Il n’y a absolument aucun précédent historique nous permettant de croire que d’être gentil avec un parti de droite, anti-syndical et au service des patrons soit une stratégie qui mène autre part qu’au désarmement et à l’affaiblissement du mouvement, et ultimement à sa défaite. La faiblesse invite à l’agression. Ce n’est qu’en montrant clairement que les politiques de Legault seront combattues dans chaque milieu de travail, dans chaque école et dans la rue que nous pouvons espérer forcer le gouvernement à faire marche arrière.
Un gouvernement de la CAQ avec une opposition officielle libérale n’offrira aucun répit aux travailleurs et aux jeunes. Les capitalistes sont renforcés par ce résultat électoral et vont tenter de faire avancer leur programme de coupes dans les services publics et d’attaques sur les syndicats plus résolument que jamais. Dans cette situation, les appuis à la CAQ peuvent s’effondrer aussi rapidement qu’ils ont grandi, à mesure que la masse de gens ayant voté pour le « changement » réaliseront de quel genre changement il s’agit réellement. Dans cette perspective, QS dispose d’une occasion fantastique de canaliser le mécontentement envers la CAQ et de devenir une force de masse. Les 10 députés de QS doivent se faire la voix du mouvement de masse à l’Assemblée nationale et utiliser leur position comme un mégaphone pour organiser et populariser le mouvement à venir contre le gouvernement.
Cette lutte a déjà commencé et c’est la jeunesse qui mène le bal! Ce dimanche 7 octobre, il y aura une grande manifestation contre le racisme, que La Riposte socialiste aide à organiser. Vous pouvez rejoindre notre contingent socialiste dès 14h30 à la Place Émilie Gamelin (métro Berri-UQAM) à Montréal. Vous êtes aussi invités à assister à notre conférence-discussion sur « Comment combattre la CAQ? » qui aura lieu le mercredi 10 octobre, à l’UQAM. Les détails se trouvent ici.
Les prochaines années seront extrêmement turbulentes. Les consciences vont énormément changer à mesure que les travailleurs et la jeunesse découvriront la vraie nature du système capitaliste. L’élection de la CAQ n’est pas un événement isolé. La polarisation politique et les attaques constantes sur nos conditions de vie constituent des manifestations du cul-de-sac dans lequel se trouve le système capitaliste. Seul un programme socialiste peut nous permettre de sortir de cette situation.