De nouveaux développements, au Venezuela, montrent que la contre-révolution s’organise et prépare une nouvelle offensive prolongée contre le gouvernement bolivarien. Face aux effets de la récession économique, nous avons assisté à des réalignements, dans le paysage politique, qui peuvent jouer un rôle décisif lors des élections législatives de septembre prochain.
Cet article date du 29 mars 2010
Le « chavisme bleu »
Il y a trois semaines, le gouverneur de l’Etat de Lara, Henri Falcón (photo), a annoncé qu’il quittait le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV), au terme d’une longue polémique publique avec le président Hugo Chavez. Ce dernier l’a accusé d’être trop proche de la bourgeoisie de Lara et de ne pas réellement servir les intérêts des travailleurs et des jeunes de cet Etat. Falcon a répliqué en claquant la porte du parti et en rejoignant le PPT (Patria Para Todos), un petit parti qui « soutient » le gouvernement – mais s’est maintenu en dehors du PSUV, lors de sa formation, en 2007. Depuis, le PPT s’efforce d’agir comme un frein à Chavez, en faisant la promotion de la « réconciliation » et du « dialogue » avec l’opposition.
Falcon parle de façon très démagogique du besoin de « tolérance ». « Un révolutionnaire doit bâtir des ponts, et non placer des pièges ou dénier le droit du peuple à soutenir le parti politique de son choix », explique-t-il. Il espère rallier les classes moyennes autour de ses appels à la « démocratie » et à la « liberté des partis politiques » – comme s’ils n’existaient pas déjà, au Venezuela. Mais ce qui irrite Falcon au plus haut point, ce sont les récentes déclarations de Chavez, qui l’accuse d’avoir rallié le camp de la bourgeoisie.
Le 14 mars, dans son émission hebdomadaire, Aló Presidente, Chavez a évoqué le cas Falcon. Il a sévèrement critiqué non seulement le gouverneur de Lara, mais aussi la classe capitaliste vénézuélienne dans son ensemble :
« Notre révolution ne prépare pas d’accord avec la bourgeoisie. Il n’y a ni accord, ni négociations possibles avec la bourgeoisie vénézuélienne. Il n’y a aucune possibilité d’accord et il n’y en aura jamais. Celui qui pense qu’un accord est possible doit abandonner nos rangs immédiatement.
« C’est pourquoi la question du gouverneur de Lara, dont j’ai parlé hier avec fermeté, à Barquisimeto, est venue sur le tapis. Derrière lui, il y a beaucoup de manipulations, dont le gouverneur et le PPT sont complices. C’est regrettable, mais c’est un fait. "Oh mais non, nous sommes avec Chavez", disent-ils. C’est un mensonge. C’est la bourgeoisie qui tire les ficelles. Ne voyez-vous pas la bourgeoisie applaudir le gouverneur de Lara ? Pourquoi ne l’attaque-t-elle pas ? Parce que des accords ont été conclus en coulisse. »
C’est exact. Le fait est que la grande majorité des journaux de droite ont réagi avec euphorie à l’annonce de la rupture de Falcon avec le PSUV. Falcon et le PPT assurent à tout le monde qu’ils sont partisans d’un « Chavisme Bleu » (« Chavismo Azul »), censé être plus « tolérant » que la politique défendue par Chavez lui-même. Mais ce n’est qu’un écran de fumée pour cacher leur rupture avec Chavez. En réalité, ils luttent pour un tout autre programme : pour la contre-révolution sous un masque démocratique.
Dans un entretien récent aux Últimas Noticias, José Albornóz, le Secrétaire Général du PPT, a déclaré qu’il regrettait qu’Ismaël Garcia et son parti PODEMOS aient quitté le camp de la révolution, alors qu’ils auraient eu davantage d’influence en y restant. Albornóz affirme qu’il s’agit d’un regrettable malentendu. Apparemment, des « sentiments incontrôlés » auraient conduit PODEMOS à trahir la révolution lors du referendum sur la réforme constitutionnelle, en 2007 !
La vérité, c’est qu’Ismaël Garcia et PODEMOS n’ont jamais été révolutionnaires. Ils ont toujours été sociaux-démocrates. Pendant un temps, ils se sont accrochés à la coalition de Chavez dans le but de freiner le processus révolutionnaire. Mais la réforme constitutionnelle – malgré ses limites – était trop dure à avaler, pour eux, et ils ont donc décidé de rallier l’opposition, c’est-à-dire le camp de la contre-révolution. Ils se sont alors lancés dans une campagne anticommuniste appelant à voter NON au referendum. Et pour Albornoz, il ne s’agirait que d’un regrettable malentendu !
Ce qu’Albornoz veut réellement dire, c’est que son parti essaie de faire la même chose que PODEMOS (et avant lui, le MAS), à savoir : freiner la révolution et rechercher un accord avec la classe dirigeante. En d’autres termes, il représente une cinquième colonne au sein de la révolution. Beaucoup de militants, à la base du PPT, ont compris cela. Plus de 200 adhérents ont décidé de quitter le parti et de rejoindre le PSUV. Mais d’un autre côté, Albornoz a déclaré que 20 000 personnes ont demandé à adhérer à PPT, dans la foulée de Falcon. Il n’est pas difficile de deviner à quelles classes appartiennent ces 20 000 personnes. Elles sont issues de la petite-bourgeoise et de la bourgeoisie elle-même, qui cherchent un moyen de se débarrasser de Chavez et de la révolution.
Ces dernières années, nous avons vu un grand nombre de renégats passer dans le camp de la réaction : Ariás Cárdenas (qui en est « revenu » en 2006), le MAS, Pablo Medina, Luís Miquelena, Baduel, Ismael Garcia et PODEMOS – et bien d’autre encore. Mais cette fois, il semble que Falcon soit capable d’organiser de plus larges couches d’éléments bourgeois et petit-bourgeois mécontents, sous la bannière du « Chavisme Bleu », de la « tolérance » et de la « réconciliation ».
La contre-révolution promeut le chaos et la violence
A cela s’ajoutent les activités récentes de l’opposition dont le but est de créer un maximum de troubles, partout où c’est possible. En janvier, les étudiants de l’opposition ont manifesté et appelé à la violence, dans les rues, sous prétexte de s’opposer à la soi-disant fermeture de RCTV (une chaîne de TV putschiste temporairement suspendue parce qu’elle ne respectait pas les lois constitutionnelles vénézuéliennes). Ces manifestations ont fait un mort à Merida, parmi les étudiants chavistes, et plusieurs blessés à travers le pays.
Puis, le 21 mars, il y a eu la « grève » de 36 heures dans les transports de Caracas. En réalité, il s’agissait d’un lock-out patronal : les propriétaires des moyens de transport privés ont voulu interrompre le trafic. Mais les travailleurs organisés dans le Syndicat Unifié des Transports de Caracas ont combattu le lock-out – et la majorité des conducteurs de bus ont travaillé. A peine 5 % des travailleurs ont participé à la « grève », de sorte que le service a fonctionné de façon plus ou moins normale. La tentative de sabotage patronal a misérablement échoué – et ce, une fois de plus, grâce à la mobilisation de la classe ouvrière.
Enfin, la contre-révolution cherche à déstabiliser le pays en soumettant le secteur alimentaire à un sabotage et à une spéculation systématiques. Une enquête récente montre que le niveau de diversité des produits alimentaires disponibles était à son plus bas dans les mois précédents le référendum constitutionnel de décembre 2007, que Chavez a perdu de peu. La pénurie alimentaire était alors à son plus haut niveau. Ci-dessous : le premier graphique retrace l’évolution du niveau de diversité des produits alimentaires disponibles ; le deuxième l’évolution du niveau de pénurie des produits alimentaires de base.
Ce n’était pas un hasard. Les capitalistes du secteur alimentaire ont délibérément cherché – avec succès – à semer la confusion, la démoralisation et la frustration parmi les masses qui avaient voté pour Chavez, jusqu’alors. Faute de pouvoir rallier la masse des pauvres à l’opposition, ils ont cherché à la démoraliser. De fait, trois millions d’électeurs chavistes se sont abstenus, en décembre 2007, ce qui a permis à la réaction de l’emporter de justesse. La pénurie alimentaire, au Venezuela, fait partie d’une campagne concertée et bien organisée par la contre-révolution.
Il est parfaitement possible que le scénario de décembre 2007 se répète, au cours des prochains mois, en vue des élections législatives de septembre 2010. En effet, la distribution est toujours – pour l’essentiel – sous le contrôle des capitalistes. Chavez s’efforce de développer les marchés alimentaires Mercal, qui sont propriété d’Etat. Mais Mercal ne représente toujours que 7 % des stocks de nourriture disponibles. Cela ne peut pas compenser la spéculation et l’inflation massives qui sévissent dans le secteur privé de la distribution alimentaire.
Le problème est double. Premièrement, le secteur alimentaire privé reste largement à l’abri des mesures gouvernementales (à l’exception d’Exito et Cargill) et il n’y a pas de monopole du commerce extérieur. Deuxièmement, la production alimentaire nationale demeure assez faible. La réforme agraire de 2001 n’a pas conduit à une redistribution suffisante des terres aux paysans pauvres. Quant aux paysans qui ont obtenu des terres, on leur a généralement refusé les petits crédits qui leurs avaient été promis, de sorte que leurs terres sont restées en jachère.
Tout ceci nous mène à la même conclusion : la propriété privée de la production, de la transformation et de la distribution des denrées alimentaires est en contradiction directe avec les besoins et les aspirations démocratiques de la majorité des Vénézuéliens. La seule façon de résoudre ce problème – qui constitue un danger mortel, pour la révolution – consiste à exproprier ces secteurs et à les placer sous le contrôle démocratique des travailleurs, des consommateurs et des coopératives paysannes. Ceux-ci pourront alors planifier rationnellement ces secteurs, suivant les intérêts de la majorité, et mettre un terme au sabotage contre-révolutionnaire et antidémocratique.
Les élections législatives
Gustavo Tarre Briceño, réactionnaire notoire et ancien dirigeant du parti de pro-capitaliste COPEI, a récemment déclaré que « le gouvernement est si mauvais qu’il est possible de gagner les élections ». Il s’agit évidemment d’une exagération grossière. Chavez bénéficie toujours d’un soutien massif. Cependant, il est exact que de nombreux réformistes et bureaucrates, dans l’entourage de Chavez, sont incapables de résoudre les problèmes les plus urgents du Venezuela : électricité, logements, pénurie alimentaire et insécurité. La principale raison tient au fait qu’ils n’osent pas rompre avec le capitalisme et la propriété privée.
Dans la même interview, Tarre Breceño explique la stratégie de l’opposition. Il dit que même dans le cas où l’opposition ne gagnerait pas une majorité, à l’Assemblée Nationale, « le Parlement deviendrait un centre du débat national », ce qui « représenterait un changement qualitatif ». Nous avons ici la trame des perspectives contre-révolutionnaires. Même s’ils n’arrivent à remporter que 40 % des sièges, par exemple, ils utiliseront leurs députés pour bloquer ou différer les initiatives gouvernementales. Ces représentants légaux parcourront le pays en long et en large pour mobiliser la classe moyenne contre le gouvernement et la révolution. C’est la première partie du plan, l’objectif final étant de se débarrasser de Chavez et de la révolution.
Parmi les masses bolivariennes, il y a une profonde inquiétude, à ce sujet, ainsi qu’un mécontentement croissant à l’égard de la bureaucratie du PSUV. Il y a deux mois, Alberto Müller Rojas – ancien vice-président du PSUV – a déclaré que « Chavez est assis sur un nid de scorpions », en référence aux nombreux réformistes au sein du gouvernement et du parti.
Lors de l’édition d’Alo Presidente au cours de laquelle Chavez a attaqué Falcon et déclaré qu’aucun accord n’est possible avec la classe dirigeante, il a rappelé une fois de plus qu’il faut en finir avec l’Etat capitaliste et a critiqué ceux qui défendent le « socialisme de marché » – une formule récemment mise en circulation par les réformistes, au sein du mouvement bolivarien.
C’est dans ce contexte que les idées du marxisme gagnent en audience. Récemment, l’Assemblée des Mouvements Populaires de Caracas a adopté la proposition de programme que les marxistes du PSUV ont formellement présenté. En conséquence, ce document a circulé parmi tous les délégués du Congrès. Ces mêmes idées ont été accueillies avec enthousiasme lors des assemblées du Bicentenaire de la Jeunesse, le nouveau front des organisations de la jeunesse révolutionnaire. Cela confirme que la base du PSUV veut lutter pour faire du parti un outil permettant de mener la révolution à son terme.
Patrick Larsen, à Caracas, le 29 mars 2010