Il y a quelques semaines, le Parti québécois a présenté son premier budget depuis sa récente prise de pouvoir. Le ministre Nicolas Marceau s’est engagé à «équilibrer les comptes» et «couper dans les dépenses» dans ce qui constitue clairement un budget d’austérité; on y annonce la plus faible hausse des nouvelles dépenses depuis 14 ans, et presque pas de financement supplémentaire pour l’éducation. Le gouvernement promet en plus d’adopter un budget du type «déficit zéro» pour 2013-14. Très peu de temps après son élection, le PQ montre donc ses vraies couleurs, celles d’un parti servant les intérêts des grosses compagnies québécoises, dans l’esprit du plan général d’austérité du Parti libéral récemment vaincu.
L’annonce de ce budget, constituant un virage à 180 degrés par rapport aux promesses électorales du PQ en septembre, a été applaudie par la communauté d’affaires et les pontifes de la droite politique. Un bon portrait des sentiments de la classe dirigeante au Québec est l’article du chroniqueur Alain Dubuc, de La Presse, intitulé «Tout ça pour ça?» Dubuc s’y réjouit de ce que le budget «semble annoncer le retour à la réalité d'un parti qui s'était emporté en campagne électorale.» Il ajoute que le budget marque un retour au «consensus économique» que le PQ a longuement entretenu avec les partis de droite que sont les libéraux et la CAQ.
La réception du budget par la communauté des affaires fut tout aussi élogieuse. Françoise Bertrand, de la chambre de commerce du Québec, a déclaré : «Je crois que notre message a été entendu et que le gouvernement l’a pris en compte.» Yves-Thomas Dorval, du conseil du patronat du Québec, a aussi félicité le gouvernement de s’être engagé à revenir à un budget équilibré pour 2013-14. Au fond, c’est une dure leçon pour les étudiants et les travailleurs qui ont voté pour le PQ afin de détrôner les libéraux, car après tout, qu’est-ce qui a réellement changé?
Marois se retourne contre les syndicats
À plus d’une occasion durant la campagne électorale, Pauline Marois fut accusée de «coucher avec les syndicats» par le populiste de droite François Legault, chef de la CAQ. À son tour, Marois contrait les arguments de Legault en disant qu’ «Ils sont les travailleurs du Québec». Comme nous l’avions prédit dans notre analyse post-électorale, ce n’était que de l’opportunisme de la part du PQ; le parti avait senti la colère présente dans la société québécoise et s’y était abreuvé pour gagner le pouvoir, mais on ne peut oublier qui sont les véritables maîtres du PQ - les patrons du Québec.
Le ton du PQ a changé dramatiquement depuis l’élection. Un bon exemple est le traitement qu’il inflige aux médecins de la province. Le ministre de la Santé Réjean Hébert clame que le gouvernement «ne changera pas le [nouveau] contrat» avec les docteurs du Québec, mais il demande aux professionnels de la santé de faire un «petit effort» pour aider le gouvernement à équilibrer le budget de la province – un parfait exemple du double langage que le PQ a perfectionné. Les plans d’équilibre budgétaire du PQ dépendent largement de la possibilité d’obtenir des concessions de la part des médecins. Marceau a déjà suggéré que la hausse planifiée de 9,2% du salaire des docteurs soit reportée d’au moins 7 ans. Ce contrat avait pris des années à arracher au gouvernement Libéral, et visait à placer le salaire des docteurs du Québec à la moyenne Canadienne.
La «demande» du PQ aux médecins n’est ni plus ni moins qu’une menace – renoncez volontairement à votre augmentation, ou nous vous la retirerons par la loi.
Cela a causé une grande colère chez les médecins. Le docteur Gaétan Barette, président de la fédération des médecins spécialistes du Québec, a dit que ses membres ne cessaient plus de l’appeler au téléphone depuis que le ministre des finances Marceau a fait la suggestion que leur augmentation soit reportée à plus tard. Du même avis, le chef de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, Louis Godin, a dit qu’il avait pris des années aux docteurs du Québec pour arriver à un accord avec le gouvernement et qu’il considérait toute tentative de retarder le processus inacceptable.
Un plan pour sabrer 2000 des 22 500 emplois à Hydro-Québec est aussi inclus dans le budget. Ces emplois seront perdus par attrition dans le but de limiter la hausse des tarifs d’électricité imposée par l’ancien gouvernement Libéral. Les quatre syndicats d’Hydro-Québec ont critiqué cette décision pour son manque de vision et ont demandé au gouvernement de restructurer son plan. La réponse du PQ à ces demandes est qu’ils ne prévoient aucune nouvelle entrée d’argent. Avec ces attaques sur les travailleurs syndiqués, et la renégociation de plusieurs contrats publics, nous pourrions assister très bientôt à une lutte syndicale féroce si les chefs des travailleurs ne cèdent pas.
La hausse des frais de scolarité sera-t-elle réellement abolie?
On peut dire que l’action la plus notable du gouvernement depuis son élection est l’abolition de la détestée hausse des frais de scolarité. Toutefois il serait plus juste de dire que la hausse n’a été que reportée pour le moment, du moins jusqu’au sommet sur l’éducation prévu pour la fin novembre. L’arrêt de la hausse était la promesse du PQ la plus médiatisée lors de la campagne et ce n’est pas exagérer que de dire que c’est ce qui leur a fait gagner leur élection. En vue du sommet, le ministre de l’éducation Pierre Duchesne fait bien attention d’avertir tout le monde qu’il ne faut pas penser que leur position est préétablie.
Il est de plus en plus difficile d’imaginer que les frais de scolarité au Québec resteront gelés pour encore longtemps. Comme mentionné plus tôt, le budget contient la plus faible hausse des dépenses du gouvernement en plus d’une décennie. La plate-forme électorale du PQ promettait 150 millions de dollars aux universités de la province pour compenser la perte de revenus découlant de l’annulation de la hausse des frais. Par contre, le budget n’amène aucune promesse pour l’éducation – tout juste une vague suggestion comme quoi le gouvernement «pourrait compenser les pertes des universités.» Les leaders étudiants se demandent avec raison si le PQ pourra réussir à magiquement garder les frais de scolarité au même niveau tout en injectant plus d’argent dans l’éducation.
Évidemment, tout cela augure mal pour les étudiants. Si le gouvernement fait marche arrière sur le gel des frais de scolarité, même s’il décrète une hausse moindre que celle que les libéraux proposaient, cela pourrait réanimer le mouvement étudiant en très peu de temps. 60 000 étudiants de l’université et du CÉGEP ont fait la grève pour une journée le 22 novembre, 5000 desquels ont formé une manifestation au centre-ville de Montréal. Cela n’est qu’un avant-goût de ce qui pourrait arriver si le gouvernement ne remplit pas ses promesses électorales.
Le mouvement de grève massif du printemps dernier a drastiquement politisé les étudiants, qui ont adopté des positions de plus en plus à gauche après avoir reçu des leçons de politique à coups de matraque durant l’été. Durant la grève, l’ASSÉ est passée de 45 000 étudiants membres à 70 000, dont des milliers ayant voté pour se désaffilier de la FECQ, plus conciliante. Ce processus se continue : Les étudiants du CÉGEP mènent ce qui a été appelé «la plus grande vague de consultation de désaffiliation dans un si court laps de temps de toute l’histoire de la fédération» (Le Devoir, 24 Nov. 2012). C’est de cette manière que les étudiants ont puni l’attitude conciliatrice des leaders de la FECQ durant la grève; nous laisserons au lecteur le soin de juger si cela a été accéléré ou non par le fait que l’ex-leader Léo Bureau-Blouin ait été élu en tant que membre du PQ à l’assemblée nationale!
Répliquons au budget du patronat et aux programmes d’austérité!
Comme si d’avoir reculé sur l’investissement social et attaqué les syndicats n’avait pas été suffisant pour gagner la confiance des grandes entreprises, le PQ offre maintenant un congé fiscal de 10 ans sur tout investissement de plus de 300 millions de dollars. Ce qui va de pair avec leur plan de dépenser 1,5 milliard de moins par année dans les programmes sociaux pour les 5 prochaines années et d’imposer à la plupart des ministères, des agences et des sociétés d’état de se serrer sévèrement la ceinture. D’où tirera-t-on ce milliard et demi? À voir comme les entreprises québécoises reçoivent des cadeaux, il est clair que ce seront les travailleurs et les étudiants qui paieront la note à travers les mêmes mesures d’austérité que celles proposées par le précédent gouvernement Libéral.
Le capitalisme d’austérité ne peut plus fournir de gains en niveau de vie à la plupart des gens; la classe dirigeante, qu’elle soit du PQ ou libérale, impose sa solution à la crise – de profondes coupures dans l’aide sociale, des attaques sur les syndicats, et un congé fiscal pour les grands capitalistes. Il est devenu plus pertinent que jamais que nous ayons notre propre parti, un parti des travailleurs et de la jeunesse, basé sur une perspective socialiste qui sortirait de la logique capitaliste destructive qui ne veut dire que misère. Les chefs syndicaux devraient apprendre la leçon que nous avons besoin de notre propre parti pour se battre pour nos intérêts qui sont clairement opposés à ceux du Parti québécois. Le seul parti qui soit opposé à l’austérité pour l’instant est Québec Solidaire. Gardant cela en tête, les syndicats, Québec Solidaire et le NPD (supporté par les travailleurs, et qui continue d’avoir de hauts résultats dans les sondages au Québec) doivent s’unir et s’atteler ensemble à la tâche de créer un parti anti-austérité afin de devenir la voix parlementaire d’un mouvement de masse pour combattre l’agenda du patronat, peu importe le parti qui le représente.
Translation: La Riposte (Canada)