Le dimanche 23 novembre, les Vénézuéliens sont appelés à voter pour renouveler les gouvernements régionaux et plus de 300 conseils municipaux. C’est l’une des élections les plus importantes de l’histoire du Venezuela. Le résultat aura un profond impact sur l’avenir de la révolution bolivarienne.
Si l’opposition remporte ces élections, elle utilisera son contrôle de régions clés pour intensifier sa campagne contre le gouvernement central. Elle pourrait chercher à imiter la stratégie de l’oligarchie bolivienne et réclamer l’autonomie d’Etats riches tels que Zulia (ce qu’elle a déjà commencé à faire). Dans le contexte actuel de crise économique, la victoire de la droite se traduirait par des coupes sombres dans les conditions de vie de la majorité. A l’inverse, si les Chavistes l’emportent, les masses seront encouragées et l’opposition démoralisée. Ce serait un nouveau virage à gauche de la révolution.
Sur le papier, le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) compte cinq millions de membres. Cela représente une force formidable – à condition d’être mobilisée efficacement. Mais cela dépend de la qualité de la direction et de sa capacité à soulever le même enthousiasme que par le passé. Or, l’enthousiasme ne peut être suscité artificiellement par des discours et des manifestations. Les travailleurs et les paysans doivent sentir que la direction du mouvement veut sérieusement s’attaquer à leurs problèmes fondamentaux et faire avancer la révolution. Ceci, à son tour, dépend du programme et de la politique que défend la direction du mouvement.
Par le passé, la menace contre-révolutionnaire a systématiquement provoqué la mobilisation des masses. Mais le problème, c’est qu’après dix ans, la révolution n’a toujours pas réalisé sa tâche principale : exproprier la terre, la grande industrie et les banques. Cela a créé une situation dangereuse. L’économie est partiellement nationalisée, mais des secteurs clés sont toujours entre les mains du privé. Cela ne peut que générer chaos, inflation et chômage.
Les masses demeurent loyales à Chavez et à la révolution. Mais cette loyauté est sévèrement mise à l’épreuve. Jusqu’alors, l’économie vénézuélienne était protégée, dans une large mesure, par les revenus de l’industrie pétrolière et les réformes sociales du gouvernement Chavez. Cependant, le Venezuela ne pourra pas échapper aux effets de la crise économique mondiale. La chute des prix du pétrole menace les conquêtes sociales de la révolution. Elle limite la possibilité de réformes, génère du chômage et pèse sur le niveau de vie des masses.
Une opposition « démocratique » ?
La société vénézuélienne est profondément divisée entre la droite et la gauche, les révolutionnaires et les contre-révolutionnaires, les riches et les pauvres. L’opposition défend les intérêts de l’oligarchie : les grands propriétaires terriens, les banquiers, les capitalistes, qui constituent un puissant obstacle au progrès social. Pour des raisons tactiques, l’opposition est obligée de cacher ses intentions contre-révolutionnaires derrière le masque rieur de la « démocratie ».
Ces dix dernières années, l’opposition a systématiquement cherché à renverser le gouvernement Chavez. En avril 2002, elle a organisé un coup d’Etat dans le but d’instaurer une dictature. La mobilisation des masses l’en a empêché. Par la suite, elle a organisé un vaste sabotage de l’économie nationale. Cette offensive réactionnaire a elle aussi été balayée par un mouvement spontané des travailleurs, qui ont occupé l’industrie pétrolière et l’ont fait fonctionner sous contrôle ouvrier.
Lors des précédentes élections locales, l’opposition les a boycottées en criant à la fraude. Mais les observateurs internationaux (pour la plupart hostiles à la révolution) n’ont relevé aucun cas de fraude. Demain, le scrutin sera suivi par 130 observateurs internationaux, dont les représentants de chacun des 34 pays membres de l’Organisation des Etats Américains (OAS). Il n’y avait pas autant d’intérêt pour les élections frauduleuses qui ont porté George W. Bush à la présidence des Etats-Unis, en 2000 !
Aujourd’hui, l’opposition est dans une position de faiblesse. Ses dirigeants reconnaissent que Chavez bénéficie d’une énorme popularité (60%). La réaction est obligée de changer de tactique. Elle attaque moins systématiquement Chavez de façon hystérique, évite d’apparaître comme trop réactionnaire et se concentre sur les questions locales.
Le problème de la bureaucratie
Depuis des mois, Chavez jette toute son autorité dans la bataille électorale. La photo du Président est accolée aux candidats locaux, sur les affiches. C’est une stratégie risquée. A tous les niveaux, la bureaucratie est corrompue et inefficace. Sur le terrain, le coût de la vie augmente – l’inflation dépasse les 30%. Le crime et l’insécurité se développent. Or, face à cela, les gens sont confrontés à des officiels « chavistes » corrompus, indifférents et arrogants qui ignorent leurs problèmes – quand ils n’en nient pas l’existence. C’est cela qui fragilise le soutien dont bénéficie la révolution bolivarienne.
L’opposition et les médias de droite ont très efficacement exploité cette situation. Au lieu d’attaquer directement Chavez, ils concentrent leur feu sur les administrations locales. En conséquence, il est difficile de prévoir quel sera le résultat des élections de dimanche. De son côté, le PSUV fait campagne en défendant les succès de la politique nationale : les récentes nationalisations (acier, ciment, banque), les augmentations de salaires dans la fonction publique et la fin de la pénurie de produits alimentaires. Est-ce que cela suffira ? Mes observations, sur place, m’ont convaincu qu’un profond sentiment de malaise s’est développé, non seulement dans les masses, mais aussi dans la base militante chaviste. Chavez lui-même est toujours populaire. Mais ce n’est pas lui qui se présente, à ces élections, qui seront comme un référendum sur les maires et gouverneurs bolivariens.
En juillet dernier, j’ai parlé de cela à Chavez. Il m’a fait part de son mécontentement : « Une fois élus, certains gouverneurs perdent le contact avec leur base. Ils s’entourent de gens riches, de jolies femmes, etc., et perdent le contact avec la population. C’est un problème idéologique. Tant que nous n’aurons pas des gouverneurs préparés, idéologiquement, nous aurons ce problème. Nous devons gagner la bataille des idées. »
Je lui ai répondu : « C’est vrai qu’il faut mener une bataille idéologique. Mais il faut aussi des mécanismes de contrôle par la base ». Chavez m’a alors répondu : « Je ne peux pas tout faire. Il est absolument nécessaire que le peuple participe au processus et en prenne le contrôle ». C’est effectivement la réponse aux problèmes de la révolution vénézuélienne.
La droite bolivarienne
Malgré l’échec du référendum constitutionnel de décembre 2007, il est probable qu’un référendum sera organisé pour permettre à Chavez de briguer un troisième mandat. Les ennemis de la révolution comprennent l’importance de cette question. Le départ de Chavez serait la première étape d’une campagne pour donner la direction du mouvement aux réformistes de droite et aux éléments pro-bourgeois qui sont à l’offensive depuis la défaite de décembre.
Si l’opposition remporte d’importantes victoires, dimanche, les réformistes (et leurs théoriciens, comme Heinz Dieterich) vont renouveler leurs appels à la « modération » et à la conciliation avec l’opposition pour « sauver la révolution ». Par « sauver » la révolution, ils veulent dire la détruire complètement et préparer la voie à la victoire de la contre-révolution – par des moyens parlementaires.
En cas de défaite électorale, ils expliqueront que la révolution est allée trop loin, trop vite – alors qu’au contraire, le problème est que la révolution est allée trop lentement et pas assez loin. Ils expliqueront que le rapport de force est défavorable – alors que depuis dix ans, le rapport de force n’aurait pas pu être plus favorable. Aujourd’hui encore, la grande majorité des Vénézuéliens (les travailleurs et les paysans) défend passionnément la révolution et le Président. Ils veulent une transformation radicale de la société. Mais la bureaucratie réformiste sabote en permanence la révolution, ce qui génère du mécontentement et de la démoralisation dans les masses. C’est la principale menace contre le rapport de force !
Les réformistes nous expliqueront qu’il faut gagner les classes moyennes. Mais l’opposition ne représente pas les classes moyennes : elle représente l’oligarchie. Une large section des classes moyennes – fonctionnaires, petits commerçants, etc. – balance entre Chavez et l’opposition. Plus la crise s’aggravera, plus ils seront réceptifs aux arguments de l’opposition, qui leur dira : « vous avez voté pour Chavez, voyez ce qu’il vous a apporté ! Les prix augmentent, vos conditions de vie se dégradent et vous craignez pour votre avenir. C’est cela, le socialisme ! »
Les réformistes veulent un accord avec l’opposition (c’est-à-dire avec l’oligarchie). Mais il ne peut y avoir d’accord entre la révolution et la contre-révolution. Il est impossible de concilier les intérêts de classes antagoniques, tout comme il est impossible de mélanger l’eau et le feu. L’oligarchie exigera une politique de « rigueur » qui frappera non seulement les travailleurs, mais aussi les classes moyennes.
Il faut choisir !
Les réformistes expliqueront qu’il faut tendre la main à Obama, et que si Chavez avait l’obligeance de quitter la scène, cela faciliterait les choses. C’est le plus stupide des arguments. L’élection d’Obama ne signifie pas un changement fondamental de la politique étrangère des Etats-Unis. Celle-ci est déterminée par les intérêts de l’impérialisme américain, des grandes banques et des multinationales. En la matière, il n’y a aucune différence fondamentale entre les Démocrates et les Républicains. Obama dit qu’il veut retirer les troupes d’Irak – pour les envoyer en Afghanistan ! Obama n’est pas moins hostile que Bush à l’égard de la révolution vénézuélienne. Et n’oublions pas que c’est un Président démocrate « progressiste », John Kennedy, qui a organisé l’invasion de Cuba, en 1961.
Les impérialistes américains n’ont pas changé d’attitude vis-à-vis du Venezuela. Le Pentagone poursuit ses intrigues et conspirations, de concert avec l’opposition vénézuélienne – tout en chantant les vertus de la démocratie. Ils savent que la grande majorité des soldats de rang et de nombreux officiers soutiennent Chavez, mais ils savent aussi qu’il ne manque pas de réactionnaires dans la police, la Garde Nationale et l’armée. Combien de Baduel sont toujours présents dans les échelons supérieurs des forces armées ?
Le temps ne joue pas en faveur de la révolution. Certes, la récession mondiale et la chute des cours du pétrole n’ont pas encore eu d’impact sur les programmes sociaux du gouvernement et sur la vie quotidienne de la plupart des Vénézuéliens. Mais cela ne pourra pas durer. Le Venezuela ne tardera pas à ressentir les effets de la récession mondiale et de l’effondrement de la demande de pétrole.
La vérité, c’est que l’économie vénézuélienne ne tient que par le secteur public. Malgré les incitations massives du gouvernement, les capitalistes refusent d’investir. Il y a une grève du capital. Nous avions prévu cela, en juillet, lorsque Chavez avait organisé une vaine réunion avec des patrons pour les convaincre d’investir. A présent, le gouvernement doit reconnaître les faits. Il ne pourra pas à la fois continuer de subventionner les patrons et poursuivre ses grands projets sociaux et économiques. Il faut choisir !
Pour la victoire des candidats chavistes ! Pour une politique socialiste révolutionnaire !
Les résultats des élections de dimanche nous donneront des informations importantes sur le rapport de force entre les classes et l’état d’esprit des masses. Il faut remporter cette bataille électorale. Quelle qu’en soit l’issue, les masses auront appris quelques leçons. La leçon la plus importante, c’est qu’il n’est pas possible de faire la moitié d’une révolution. Il n’est pas possible de se concilier les ennemis de la révolution. Au final, l’un des deux camps en lutte doit l’emporter.
Il est difficile de prévoir les résultats de ces élections. D’un côté, face aux dangers d’une victoire de l’opposition, la base militante chaviste se mobilisera. Mais d’un autre côté, la désillusion face aux résultats concrets de dix ans de révolution peut générer une certaine apathie. Les augmentations de salaire n’ont pas suivi la flambée des prix. L’inflation galopante a particulièrement frappé les couches les plus pauvres de la population. Les programmes gouvernementaux contre la criminalité n’ont pas réglé ce problème – qui est lui-même lié à la corruption de la police et des officiers locaux.
L’opposition est divisée. Dans plusieurs Etats et municipalités, les rivalités entre différentes cliques ont empêché la droite de présenter un seul candidat. Ces divisions renforcent la possibilité d’une victoire des candidats chavistes. Par ailleurs, une forte participation devrait favoriser les Chavistes. Mais qu’en sera-t-il ?
Nos camarades du Courant Marxiste Révolutionnaire (CMR) ont fait campagne pour une victoire du PSUV. Ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour battre les candidats de l’oligarchie. Mais le seul moyen de mobiliser les masses consiste à défendre une ligne révolutionnaire ferme et consistante.
Une révolution doit être constamment à l’offensive. S’arrêter, c’est s’exposer à la défaite. Après dix ans, les masses sont fatiguées des discours et des parades. Elles veulent des actions décisives pour battre la contre-révolution. Chaque fois que le Président annonce la nationalisation d’une banque ou d’une usine, cela provoque une vague d’enthousiasme. Mais chaque fois que les réformistes imposent un nouveau recul, chaque fois qu’ils s’efforcent de s’entendre avec les capitalistes et les banquiers, cela provoque de la désillusion et crée les conditions d’une apathie électorale.
Pour que le PSUV réalise tout son potentiel, il doit défendre implacablement le socialisme – non seulement en parole, mais dans les faits. La crise mondiale du capitalisme menace toutes les conquêtes sociales des dix dernières années. L’heure n’est pas aux compromis et aux vacillations ! Il faut exproprier la terre et de nationaliser les banques et la grande industrie sous le contrôle des ouvriers.
Il est inimaginable qu’une authentique politique socialiste puisse être mise en œuvre par la bureaucratie corrompue qui est liée aux banquiers et aux capitalistes. Il faut déraciner l’arbre empoisonné de la bureaucratie, non seulement dans l’appareil d’Etat, mais aussi dans le PSUV lui-même. A bas la bureaucratie, le carriérisme et la corruption ! Pour un authentique Etat ouvrier, dans lequel tous les officiels seront élus, révocables et ne gagneront pas davantage qu’un travailleur qualifié !
Nous sommes fermement aux côtés des travailleurs et des paysans vénézuéliens – et contre l’oligarchie réactionnaire et l’impérialisme. La victoire du socialisme au Venezuela donnerait une très grande impulsion au mouvement révolutionnaire en Amérique latine et à l’échelle mondiale. Tel est l’enjeu !
Pas touche au Venezuela !
A bas l’oligarchie et l’impérialisme !
Vive la révolution socialiste !
Alan Woods
21 novembre 2008
Source: La Riposte