Le 33e congrès de The Struggle (« La Lutte »), section pakistanaise de la Tendance Marxiste Internationale (TMI), s’est tenu les 8 et 9 mars 2014 à Lahore, dans un contexte économique et social terrible. Dès son arrivée au pouvoir, en juin 2013, le gouvernement de droite de Nawaz Sharif (Ligue Musulmane) a lancé de nouvelles attaques majeures contre les pauvres et les travailleurs.
Le congrès de nos camarades pakistanais était supposé se tenir dans la plus grande salle de conférence de Lahore, qui peut accueillir 3 000 personnes. Mais les événements en ont décidé autrement.
Sabotage
L’influence croissante des marxistes pakistanais ne passe pas inaperçue. L’Etat et la classe dirigeante suivent attentivement leur évolution et s’efforcent par tous les moyens de stopper leur développement. Quatre jours à peine avant l’ouverture du congrès, la grande salle de conférence, qui avait été réservée six mois à l’avance, n’était soudainement plus disponible ! Nos camarades ont appris que leur réservation avait été annulée au profit d’une autre : celle du gouverneur du Punjab, Shahbaz Sharif, membre du Parti de la Ligue Musulmane et frère du premier ministre Nawaz Sharif. Il est clair que l’Etat était impliqué dans ce sabotage.
Nos camarades ont réagi rapidement et ont trouvé une salle pouvant accueillir 1 400 personnes. C’était la seule alternative pour commencer le congrès le jour prévu. Heureusement, le deuxième jour, les camarades ont pu accéder à la salle de conférence initialement prévue. Comprenant que le congrès se tiendrait quoiqu’il arrive, le gouverneur a changé de tactique, privant la salle d’électricité (les coupures sont fréquentes au Pakistan, mais cette fois-ci quelqu’un avait coupé au couteau les fils du tableau électrique !). Les camarades ont réussi à réparer les dommages et avaient organisé un bon service d’ordre pour parer à toute attaque. Le congrès a donc pu se dérouler à peu près normalement.
La délégation et les invités
Les délégués étaient originaires de toutes les régions du Pakistan : du Baloutchistan (dans le sud-ouest, déchiré par la guerre) à Gilgit Baltistan (dans le nord, région montagneuse et limitrophe de la province chinoise du Xingiang), en passant par le Sindh, le Cachemire, le Punjab, etc.
La situation au Baloutchistan illustre les conditions très dangereuses dans lesquelles militent nos camarades pakistanais. Cette province couvre près de 48 % de la superficie du pays. Plusieurs camarades venaient des zones côtières du Baloutchistan, le long de la mer d’Arabie. La ville portuaire de Gawadar se trouve à proximité du détroit d’Ormuz, où passe 35 % du transport maritime pétrolier mondial. Les Chinois veulent y construire un oléoduc afin de renforcer leur emprise sur l’Océan Indien.
Sa situation géographique, sa richesse potentielle en minerais, sa composition ethnique complexe et des enjeux géopolitiques majeurs ont transformé cette région en un vaste champ de bataille pour les puissances étrangères. La Chine, les Etats-Unis, l’Iran et l’Arabie Saoudite y mènent tous des guerres par procuration.
Les principales victimes en sont, comme toujours, les gens ordinaires. Lors du congrès, il y avait un grand nombre de camarades Hazaras (une des ethnies du Baloutchistan). Les Hazaras sont constamment pris pour cible par les groupes terroristes saoudiens, qui se spécialisent dans le massacre des chiites.
Beaucoup de camarades sont venus de la province du Sindh, où se situe Karachi. Les camarades de Karachi appartiennent à toutes les ethnies : mohajirs, sindhi, pachtoune – et d’autres encore. Or la ville de Karachi est en proie à des violences intercommunautaires sans précédent. Cela montre l’internationalisme prolétarien et la solidarité qui existent dans la section pakistanaise : la conscience politique des camarades dépasse ces divisions entretenues par la classe dirigeante.
Des camarades sont aussi venus des zones frontalières de l’Afghanistan, en proie à la violence des insurgés talibans et aux bombardements des drones américains. Beaucoup de personnes y sont régulièrement tuées par les bombes américaines. Nos camarades du Peshawar, du Swat, de Malakand, de Buner et d’autres parties du Nord du Pushtoonkhwa souffrent également de la réaction talibane.
Il y avait aussi une importante délégation issue de toutes les régions pakistanaises du Cachemire, où The Struggle a une base militante solide. D’autres délégués venaient d’Islamabad et d’autres parties du Punjab du Nord, comme Faisalabad, Gujranwala, Sialkot, Gujrat ainsi que d’autres villes industrielles du centre du Punjab. Il y avait une importante délégation de Lahore, la deuxième ville la plus importante du pays (10 millions d’habitants). Ainsi, pratiquement toutes les régions du pays étaient représentées.
Parmi les invités, il y avait Alan Woods, du Secrétariat International de la TMI, John Peterson, de sa section américaine, ainsi que deux camarades de sa section suédoise : Ylva Vinberg et Stefan Kangas.
Plusieurs mois de préparation ont été nécessaires pour organiser cet événement. Des documents soumis à la discussion et au vote du congrès avaient été publiés et discutés en amont : les Perspectives Mondiales 2014, les Perspectives pour le Pakistan et une résolution organisationnelle.
Les syndicats
Près d’une trentaine de syndicats étaient représentés, notamment des chemins de fer, de la poste, des mines, du pétrole, du gaz et de l’industrie électrique. Etaient également représentés l’association des étudiants en médecine du Punjab, des travailleurs agricoles, le syndicat des travailleurs hospitaliers et l’association nationale des enseignants du Punjab, du Baloutchistan, du Cachemire et du Sindh. Plusieurs syndicats de journalistes pakistanais étaient représentés, ainsi que de nombreux syndicats de salariés de la télévision et des banques. Enfin, il y avait une délégation importante d’associations et de syndicats de travailleurs du textile et de grandes multinationales, comme Coca-Cola ou Nestlé. Des organisations de la jeunesse pakistanaise étaient également présentes.
Les délégués ont dû franchir d’innombrables obstacles pour être présents à ce congrès. Certains ont voyagé pendant plusieurs jours et, parfois, passé des checkpoints et subi des fouilles au corps de l’armée (en particulier ceux venus du Waziristan). Le coût financier du voyage représentait un énorme sacrifice pour les camarades. Enfin, des camarades femmes sont venues de tout le pays – étudiantes, infirmières, journalistes, doctoresses, enseignantes, femmes au foyer –, malgré les énormes pressions dont les femmes font l’objet, dans ce pays.
Perspectives Mondiales
Le congrès s’est ouvert par la lecture de poèmes révolutionnaires – une tradition vivante, dans ce pays – et un bref discours de bienvenue du camarade Lal Khan. Puis la matinée du premier jour fut consacrée aux « Perspectives Mondiales », présentées par Alan Woods. Alan est revenu sur les magnifiques mouvements révolutionnaires de la classe ouvrière au cours des 12 derniers mois : en Turquie, au Brésil et en Egypte, où le gouvernement haï de Morsi a été renversé « aussi facilement qu’un homme écrase un moustique », grâce à la mobilisation historique de 17 millions de personnes.
Il a rappelé qu’après la chute de l’URSS, les Etats-Unis sont devenus la seule superpuissance mondiale, avec des moyens économiques et militaires colossaux. Mais il a ajouté que la puissance colossale s’accompagne d’une arrogance colossale. Or cette puissance a des limites, qui désormais sont atteintes. C’est ce qu’illustre le conflit entre les Etats-Unis et la Russie à propos de l’Ukraine : les Etats-Unis et l’UE assistent, impuissants, aux manœuvres de l’oligarchie russe pour défendre ses anciennes sphères d’influence.
Puis Alan a parlé longuement de la question nationale. Les applaudissements ont retenti lorsqu’il a déclaré que la question n’est pas noir ou blanc, chrétien ou musulman, sunnite ou chiite. Il s’agit d’une guerre entre classes, entre riches et pauvres. C’est une guerre entre la classe ouvrière mondiale et la petite poignée de parasites qui l’exploite – et qui recourt à la stratégie du « diviser pour mieux régner » pour maintenir sa domination. Après l’exposé d’Alan, il y a eu un débat animé sur toute une série de questions à propos du Pakistan, de l’Iran, de l’Europe, du Venezuela, de l’Ukraine, de l’Afghanistan, du Qatar, de l’impérialisme – et bien d’autres sujets.
Perspectives pour le Pakistan
Après avoir réussi l’exploit de servir un repas chaud à plus de 2500 camarades, le congrès s’est penché sur le document « Perspectives pour le Pakistan », introduit par le camarade Lal Khan. Il a décrit la situation désastreuse de la classe ouvrière pakistanaise. La situation économique et sociale n’a jamais été aussi mauvaise depuis la création de l’Etat du Pakistan, il y a 67 ans. Il y a sans cesse des conflits et des affrontements entre les différentes institutions. L’appareil d’Etat est en pleine décomposition.
A l’heure actuelle, six guerres par procuration se déroulent dans différentes régions du pays. Terrorisme et attentats-suicides sont devenus une routine quotidienne. Plus de cinquante mille personnes ont été tuées dans ce carnage.
Le secteur informel – ou « l’économie noire » – représente les deux tiers de l’économie et 78 % des emplois. Les gens travaillent pour des salaires de misère et n’ont aucune couverture sociale. Cette économie se nourrit de la corruption, du trafic de drogue, d’enlèvements contre rançon, d’extorsion de fonds et autres crimes odieux. De nombreuses institutions de l’Etat y participent.
La classe dirigeante pakistanaise n’a accompli aucune des tâches de la révolution nationale-démocratique. Près de la moitié de la population est analphabète ; 78 % des gens vivent sous le seuil de pauvreté, 80 % recourent aux médecines non scientifiques, faute d’argent. Chaque jour, 1 184 enfants meurent de malnutrition ou de maladies curables. Chaque année, 165 000 femmes décèdent pendant l’accouchement.
Les partis politiques ont perdu toute crédibilité. La soi-disant démocratie a conduit des contre-réformes bien plus épouvantables que les dictatures les plus brutales de l’histoire pakistanaise. Le précédent gouvernement de coalition, dirigé par le Parti du Peuple Pakistanais (PPP), a mené des politiques économiques « néolibérales » impitoyables qui ont pulvérisé la société.
A la suite de cette trahison par leur parti traditionnel (le PPP), les masses sont tombées dans le désespoir et l’indifférence politique. Le régime actuel des capitalistes mafieux est allé encore plus loin dans ses attaques contre les travailleurs et les pauvres. Il applique les diktats du FMI avec brutalité et arrogance. L’inflation et le chômage augmentent en flèche. Tout est bon pour écraser les tentatives de révolte. La droite encourage délibérément le fondamentalisme religieux et s’appuie sur ces réactionnaires contre le mouvement ouvrier.
Cette situation ne peut durer éternellement. Une révolte de masse éclatera tôt ou tard. Soit le PPP s’effondrera, soit il sera purgé par la lutte des classes, qui se débarrassera des dirigeants corrompus et féodaux qui sont à sa tête depuis deux décennies.
Les femmes
La discussion s’est révélée très intense. L’intervention d’une camarade pachtoune d’à peine 13 ans a eu un impact très fort. Elle a expliqué comment les femmes sont doublement ou triplement opprimées dans la société pakistanaise. Les jeunes femmes de cette province passent d’une prison (leur père) à une autre (leur mari), souvent dès l’âge de 12 ans. Elle a insisté sur la nécessité de lier la lutte pour l’émancipation de la femme à la révolution socialiste. Elle a rappelé que la révolution russe de 1917 a commencé par une mobilisation des femmes – et que les femmes du Pakistan doivent faire de même. Cette intervention a été accueillie par des applaudissements frénétiques et chargés d’émotions.
Pour une femme pakistanaise, assister aux réunions publiques ou rejoindre l’organisation est très difficile. Une camarade du Cachemire a expliqué : « La plupart des femmes ne sont pas autorisées à se rendre à une réunion où il y a des hommes. J’ai de nombreux contacts pour l’organisation, mais leurs parents leur interdisent de militer. »
Malgré ces difficultés, 400 femmes ont participé à ce congrès, ce qui représente un grand pas en avant pour les marxistes au Pakistan. Des familles entières étaient présentes, certaines avec leurs enfants. Face aux immenses difficultés objectives, et compte tenu des normes culturelles dans ce pays, c’est une indication claire du niveau politique élevé de l’ensemble de la section pakistanaise.
Une organisation révolutionnaire
Le deuxième jour du congrès, plusieurs commissions se sont tenu sur différents aspects du travail de l’organisation : le travail chez les femmes, dans les syndicats et dans la jeunesse. The Struggle est très actif dans la lutte contre les privatisations et y tient souvent un rôle de premier plan. Il a lancé une campagne nationale contre le plan du gouvernement Sharif, qui veut privatiser 65 entreprises publiques. Le slogan de la campagne est « guerre aux privatisations ».
Concernant la jeunesse, les camarades organisent le travail parmi les chômeurs et les étudiants. Le taux de chômage étant élevé chez les jeunes, ce travail est extrêmement important. Pour organiser les chômeurs, les camarades sont en train de construire une organisation de masse appelée « Berozgar Nojawam Tahreek » (BNT). Ils ont déjà fondé des sections dans 14 régions différentes. L’objectif est désormais de recruter 1 000 membres par région.
Dans les universités, les camarades commencent à construire une base solide. Les camarades ont également remporté des luttes parmi les jeunes médecins pour une augmentation des salaires et de meilleures conditions de travail.
Aucune attaque de la part de nos ennemis, y compris celles ultraviolentes des talibans, ne peut affaiblir la volonté des camarades de The Struggle. Au contraire, ces attaques et sabotages constants renforcent l’organisation.
Comme la deuxième journée touchait à sa fin, tout le monde était confiant et fier – fier de ce qui a déjà été accompli, et confiant dans l’avenir. Comme l’a dit le camarade Alan Woods, en concluant le congrès : « Dites-moi où on peut trouver, au Pakistan, un optimisme semblable à celui qui vous anime, camarades ? Les politiciens et les dirigeants de ce pays ne sont pas le véritable Pakistan. Le véritable Pakistan est ici, dans cette salle ! Le véritable Pakistan, ce sont les travailleurs et les paysans – tous ceux qui créent la richesse de cette société ! »
Le congrès s’est achevé en agitant les drapeaux rouges, les poings dressés en l’air, entre embrassades et poignées de main, avec un enthousiasme débordant, tandis que tous chantaient L’Internationale, dirigée par la célèbre « pop star » Jawed Ahmed. Remplis d’enthousiasme, les camarades sont rentrés chez eux avec une énergie renouvelée pour s’attaquer aux tâches difficiles – mais indispensables – qui les attendent.
Le Pakistan a une histoire et une culture riche, avec d’énormes ressources inexploitées. Certains paysages naturels sont parmi les plus beaux au monde. La Tendance Marxiste Internationale, représentée par The Struggle au Pakistan, est la seule force sérieuse de gauche au Pakistan. Elle va rapidement se retrouver dans une position où elle sera la principale organisation susceptible de conduire la classe ouvrière au pouvoir. Cela signifie d’énormes défis, mais aussi d’extraordinaires et passionnantes possibilités.