Le parti islamo-conservateur d’Erdogan a gagné les élections anticipées avec près de 50 % des suffrages, soit 3 millions de voix de plus qu’en juin dernier. Le « Parti de la Justice et du Développement » (AKP) a cyniquement entrainé le pays dans le chaos pour se présenter comme le seul barrage à opposer au désordre.
Erdogan n’a pas hésité à déclencher une guerre civile au Kurdistan turc – arrêtée provisoirement par la décision unilatérale de la guérilla du PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan) –, à stimuler la haine anti-kurde pour détourner sur des lignes nationales la colère du prolétariat turc, ou encore à fermer des journaux et des TV d’opposition. Le Premier ministre sortant, Davatoglu, a menacé la population kurde lors d’un meeting à Van, au Kurdistan : en cas de défaite de l’AKP, il y aurait un retour à la période des « Toros blanches ». Il s’agissait d’une référence très claire aux véhicules Renault utilisés par les sections spéciales de l’armée, dans les années 90, pour enlever des militants de la gauche kurde. Dans les zones rurales de Turquie, les autorités policières ont convoqué les chefs de village pour les sommer d’obtenir un vote plébiscitaire pour l’AKP (information confirmée par le Réseau Kurdistan en Italie).
L’attentat visant la manifestation syndicale et kurde pour la paix à Ankara, qui a coûté la vie à plus de 100 personnes, le 10 octobre dernier, faisait partie de cette stratégie, abstraction faite du degré plus ou moins direct de la responsabilité d’Erdogan dans l’organisation de l’attentat lui-même. Dans les faits, Erdogan s’est montré disposé à n’importe quelle manœuvre extra-parlementaire pour s’assurer une majorité parlementaire et augmenter la concentration du pouvoir entre ses mains. Face à la crainte d’une explosion sociale, la bourgeoisie turque s’est rassemblée en rangs assez compacts derrière son « sultan ».
L’Union Européenne et le gouvernement allemand ont aussi assuré Erdogan de leur soutien. Ils confirment que la classe dirigeante, quand elle se sent menacée, est prête à fermer les yeux devant le sang et l’étouffement des droits démocratiques les plus élémentaires. Le Parlement Européen pourra toujours faire quelques timides déclarations pleines « d’inquiétude » face aux arrestations d’observateurs indépendants, pendant les élections. De telles déclarations, écrites ou pas, ne seraient qu’un hypocrite cache-sexe pour les libéraux les plus enclins à la comédie.
En apparence, Erdogan semble ne pas avoir d’obstacles devant lui. Il a déjà annoncé une nouvelle vague de répression contre le PKK. Les concurrents traditionnels d’Erdogan ne représentent pas un problème pour lui. Malgré le soutien de Washington, la faction islamo-conservatrice de Zaman, autrefois alliée d’Erdogan et regroupée autour du prédicateur Fethullah Gulen (patron d’un immense empire financier), se retrouve désormais aux marges du débat politique. Le centre-gauche du Parti républicain du Peuple (CHP) stagne à 25 % des voix, alors que la droite nationaliste des « Loups Gris » perd une partie de son électorat traditionaliste au profit de l’AKP.
Le Parti démocratique des Peuples (HDP), de gauche et pro-kurde, passe de 13 % à 10 %. Il paye plus que tous les autres la militarisation des bureaux de vote, les manipulations électorales et la politique de terreur d’Erdogan. Dans ces conditions, le dépassement du quorum de 10 % (pour avoir des députés au Parlement) est à considérer comme un succès.
En réalité, ces élections n’ont pas résolu grand-chose. L’intervention russe et l’implication croissante de l’Iran – ennemi traditionnel de la Turquie – dans la guerre civile syrienne, aux côtés d’Assad, sont de très mauvaises nouvelles pour l’aventurisme impérialiste d’Erdogan, qui s’efforce de bloquer l’avancée des Kurdes de Syrie. En définitive, le nouveau gouvernement devra affronter l’enlisement turc en Syrie, l’hostilité de la population kurde et le ralentissement de l’économie nationale. Pour ces raisons, il s’agira d’un « gouvernement de crise » poussé à utiliser constamment la force pour contrôler la situation. Sur ce point comme sur les autres, nous sommes convaincus que la classe ouvrière est bien loin d’avoir dit son dernier mot.