Les musulmans de France sont les principales « victimes collatérales » des attentats des 7 au 9 janvier dernier à Paris. La propagande contre les musulmans était déjà une constante dans les médias et le débat politique français. A travers les musulmans, c’est en réalité les populations originaires d’Afrique noire et du Maghreb qui sont évidemment visées. Ces deux derniers mois, le matraquage médiatique et les actes racistes ont explosé. Ces attaques permanentes contre une partie des travailleurs de notre pays doivent interpeller l’ensemble du mouvement ouvrier.
Racisme d’Etat
Un flot de reportages à charge contre les musulmans se déverse désormais quotidiennement. Par l’intermédiaire de ses médias et politiciens, la classe dirigeante laisse entendre de manière insidieuse – ou plus directe dans le cas du FN – que l’Islam et ses pratiquants seraient la cause de la plupart des maux de notre société. Les musulmans de France sont donc sommés de montrer patte blanche. On a ainsi pu voir à la télévision Philippe Val – l’ex-directeur de Charlie Hebdo, nommé depuis directeur de France Inter par Sarkozy – exiger des musulmans qu’ils « se désolidarisent des terroristes et officialisent leur adhésion à la nation française et à la République laïque ». Que les discours soient « bienveillants » ou agressifs, les musulmans apparaissent dans tous les cas comme de potentiels « ennemis intérieurs ».
Dans le même temps – et en conséquence –, les agressions racistes contre les musulmans ont également explosé. Le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF), dans son « état des lieux » annuel du 11 février dernier, a recensé 764 actes islamophobes (discriminations, agressions, profanations d’espaces musulmans…) en 2014, soit 10,6 % de plus qu’en 2013. Pire, dans le mois qui a suivi les attentats de janvier, l’association a enregistré un bond de 70 % des actes islamophobes par rapport à la même période de 2014. Le 14 janvier, dans le Vaucluse, un Marocain de 48 ans a été tué de 17 coups de couteau par un voisin, sans raison apparente. Quant aux discriminations, elles concerneraient 4 femmes « musulmanes » sur 5, voilées ou non, et sont relevées en majorité dans les institutions publiques (enseignement public, mairies, préfectures, commissariats). Cela démontre le développement d’un racisme d’Etat, qui prend des proportions alarmantes depuis les attentats.
L’hypocrisie de l’union nationale
Au-delà des chiffres recensés, ce racisme couvre une vaste réalité très peu visible dans les grands médias. Ces faits ne semblent pas préoccuper la classe politique – au contraire. Son silence, concernant les actes et les propos « anti-musulmans », démontre l’hypocrisie et la vacuité du mot d’ordre « d’unité nationale ». Il ne peut y avoir d’unité de toute la population dans une société divisée en classes sociales antagonistes. Comme ses prédécesseurs, le gouvernement « socialiste » est au service de la classe dirigeante française, comme le prouve sa politique d’austérité. Pour « sauver le pays » de la crise capitaliste, on pratique des coupes budgétaires, des privatisations des services publics, le gel des salaires et des retraites, l’augmentation de la fiscalité directe et indirecte… Tous ces sacrifices s’exercent uniquement sur les classes populaires et non sur les capitalistes, lesquels sont choyés par des cadeaux fiscaux sans contrepartie. « L’union nationale » sert donc de couverture à une politique de classe.
L’union nationale est d’autant plus une farce qu’au même moment s’exerce une puissante campagne raciste, véhiculée par les grands médias, dont l’objectif est de diviser les travailleurs entre eux selon des lignes religieuses. Sur Europe 1, le journaliste de droite Philippe Tesson a parfaitement résumé l’offensive idéologique actuelle : « le problème dans ce pays, c’est les musulmans ! ». Le « problème » en France n’est donc plus la crise, le chômage, l’austérité – ni leurs responsables, les capitalistes et le gouvernement. Cette hypocrisie s’est manifestée avec force lors des débats récents sur la loi Macron. Valls et son ministre de l’économie ont usé jusqu’à la corde du rappel au « climat » d’union nationale, pour mettre la pression sur les « frondeurs » du PS et justifier cette nouvelle offensive contre les droits des travailleurs. L’union nationale et les attaques contre les musulmans sont bien les deux faces d’une seule et même entreprise de diversion massive au service de la classe dirigeante.
Les réactions dans la jeunesse
Depuis les attentats, la propagande raciste s’est focalisée sur la condamnation de cette partie de la jeunesse, en particulier dans les banlieues, qui a exprimé son rejet du mot d’ordre : « Je suis Charlie ». Le ministère de l’Education Nationale a recensé au moins 200 épisodes de contestation de la minute de silence du 8 janvier dernier. Les formes de contestation étaient variées : untel criait « Allah est grand », tel autre exprimait un soutien aux terroristes, mais la plupart, simplement, « ne se sentaient pas solidaires de Charlie ». La condamnation de l’hypocrisie d’une République inégalitaire et de l’impérialisme français affleurait souvent derrière ces réactions : « pourquoi une minute de silence pour ces victimes en particulier ? »
La répression n’a pas tardé. Sous la pression des Rectorats, des conseils de discipline et des exclusions ont été organisés pour rappeler à de nombreux contestataires que l’Etat ne transige pas avec les « valeurs de la République ». Dans 40 cas, les enseignants et les directions des établissements ont signalé leurs élèves à la police ou directement aux autorités judiciaires. Le climat de répression a atteint des niveaux grotesques lorsqu’un enfant de 8 ans, à Nice, a été dénoncé à la police par la direction de son école : il avait prononcé une phrase de « solidarité avec les terroristes ». Pour les médias ou pour une majorité des politiciens de droite comme « de gauche », ces réactions de jeunes ont été une nouvelle occasion de pointer du doigt les quartiers populaires, où se cacherait « l’ennemi intérieur » : des jeunes qui au mieux n’adhèrent pas aux valeurs de la République, au pire constitueraient un risque terroriste réel.
Qu’est-ce qui explique ces réactions d’une partie de la jeunesse, en particulier celle de culture musulmane, dont les familles sont souvent originaires du Maghreb ou d’Afrique noire ? La classe dirigeante a tôt fait d’y répondre : il s’agit d’un « manque d’éducation ». La ministre de l’Education Najat Vallaud-Belkacem a ainsi promis des équipes de pédagogues pour mieux former élèves et enseignants à la laïcité, ainsi que le renforcement de l’éducation civique et – fait nouveau – morale. Cette approche morale de la question fait consensus dans la classe politique, tant ce vernis « progressiste » ne coûte pas cher.
Il est déplorable que les directions du PCF et du Front de Gauche ne se soient pas dissociées de cette approche. Pointer du doigt le seul besoin d’éducation des couches les plus exploitées de la population est ridicule et insultant. Les causes fondamentales du manque d’adhésion aux « valeurs » abstraites de la République sont à rechercher dans la réalité sociale : où et quand a-t-on vu « la liberté et l’égalité » devenir une réalité pour ces jeunes ? Les quartiers populaires où vivent la plupart des jeunes musulmans concentrent les taux de chômage et de pauvreté les plus élevés. Les logements y sont souvent insalubres. Les jeunes y sont privés d’avenir. A cela s’ajoutent les discriminations constantes dont ils sont victimes dans leur scolarité, leur recherche d’emploi ou de logement. Il y a aussi le harcèlement policier. Les « bavures » restent en grande partie impunies par la Justice, laquelle n’est pas tendre avec les petits délits, mais laisse en liberté les grands fraudeurs comme Cahuzac, Bettencourt, etc. Au cours des années, aucun gouvernement n’a réellement changé cette situation de fait, qui au contraire s’est aggravée. Quelle « éducation » pourrait bien faire « aimer » une République qui tolère et organise une telle somme d’inégalités et d’oppressions ?
La campagne raciste permanente contre « le problème musulman » a sans doute achevé de convaincre nombre de jeunes musulmans qu’ils n’ont rien à attendre de positif de cette République. En 10 ans, deux lois ont été votées qui, à travers la question du voile et de la burqa, visaient en réalité les musulmans, sur fond de « débats » et de « reportages » en boucle dans les médias. Dans ce contexte, les caricatures de Charlie Hebdo – non seulement de Mahomet, mais des musulmans en général – ont été perçues comme un élément de plus de cette campagne. Conscients ou non de la tradition de gauche de « Charlie », certains jeunes ont fait le rapprochement entre ce journal et les forces politiques ouvertement racistes, comme le FN. Cela devrait faire réfléchir tous ceux qui, à gauche, revendiquent haut et fort leur droit abstrait – indépendamment de tout contexte – de critiquer une religion. Nous ne remettons pas en cause ce droit, bien sûr. Mais l’exploitation massive des caricatures de Charlie par la bourgeoisie est un fait qui n’avait rien d’étonnant : dans le contexte concret que nous venons de décrire, c’était un relais idéal, « à gauche », de l’arsenal idéologique mis en place depuis des années.
Quelle attitude doit-on avoir ?
Les attaques racistes contre une partie de la classe ouvrière ne peuvent plus être tolérées par le mouvement ouvrier. Que faire ?
1) Dénoncer et démasquer la campagne raciste de la bourgeoisie comme une tentative de diversion. Nous devons défendre l’unité de notre classe – indépendamment des confessions, nationalités, etc. – contre le système capitaliste et sa République bourgeoise.
2) Mobiliser le mouvement ouvrier contre les agressions dont les musulmans sont victimes. Il est inconcevable de laisser cette tâche essentielle au même Etat qui, par sa police et sa justice, opprime quotidiennement les musulmans.
3) Dénoncer les tentatives de justifier les interventions de l’impérialisme français par la « lutte contre le terrorisme ».
4) Rejeter, au sein du mouvement ouvrier, toute forme de militantisme « anti-religieux » abstrait. Certes, les marxistes sont athées. Ils défendent une explication scientifique et matérialiste du monde et du fait religieux lui-même. Mais précisément pour cette raison, ils n’ont pas une approche dogmatique à l’égard des travailleurs croyants, qu’il s’agit de mobiliser – aux côtés de leurs camarades athées – dans la lutte commune contre le capitalisme. Comme l’expliquait Lénine en 1905 : « En aucun cas nous ne devons nous fourvoyer dans les abstractions idéalistes de ceux qui posent le problème religieux en termes de "raison pure", en dehors de la lutte de classe, comme font souvent les démocrates radicaux issus de la bourgeoisie. Il serait absurde de croire que, dans une société fondée sur l’oppression sans bornes et l’abrutissement des masses ouvrières, les préjugés religieux puissent être dissipés par la seule propagande. » Notre objectif primordial reste avant tout la suppression de « l’esclavage économique, cause véritable de l’abêtissement religieux de l’humanité ».
5) Rejeter « l’unité nationale » – mot d’ordre réactionnaire de la classe dirigeante – et les prétendues « valeurs de la République » qui sont censées la cimenter. Expliquer que le capitalisme est incompatible avec une liberté, une égalité et une fraternité authentiques.
6) Mobiliser l’ensemble des travailleurs, quelles que soient leurs origines, confessions, etc., contre la République capitaliste corrompue. Pour une République socialiste au sein d’une fédération socialiste mondiale !