Le 17 décembre dernier, les Etats-Unis ont admis que leur tentative, pendant 55 ans, de soumettre Cuba par une série de mesures, dont un sévère embargo économique, a échoué.
L’annonce du rétablissement des relations diplomatiques entre les deux pays est intervenue après plusieurs mois de négociations secrètes. Dans le cadre de l’accord, Cuba a notamment libéré l’espion américain Alan Grossman, pour des raisons humanitaires, ainsi qu’un autre espion américain dont l’identité demeure inconnue. De leur côté, les Etats-Unis ont libéré les trois derniers des célèbres « Cinq de Miami » Cubains, qui avaient été condamnés pour le « crime » d’avoir prévenu le FBI que des opposants politiques cubains émigrés aux Etats-Unis préparaient des actions terroristes contre La Havane. Les deux autres avaient été libérés quelques mois plus tôt.
Ce changement de politique doit être considéré comme une victoire de la révolution cubaine et de sa résistance contre les attaques continues de la première puissance impérialiste du monde. C’est un fait qu’il ne faut pas sous-estimer.
La déclaration de la Maison Blanche annonçant un changement de politique vis-à-vis de Cuba commence par un aveu d’échec très clair : « Des décennies d’isolement de Cuba n’ont pas permis d’atteindre notre objectif de l’autonomisation des Cubains et de la construction d’un pays ouvert et démocratique ». La déclaration poursuit en précisant quels étaient leurs objectifs pendant près de 55 années et en quoi ils ont échoué : « Bien que cette politique a été menée avec les meilleures intentions, elle a eu peu d’effets. Aujourd’hui, comme en 1961, Cuba est dirigé par la famille Castro et le parti communiste ». Bien sûr, par « pays ouvert et démocratique », il fallait comprendre un pays capitaliste où « la démocratie » n’est qu’une feuille de vigne masquant le retour des entreprises capitalistes américaines sur l’île.
Washington a poursuivi une politique criminelle contre la révolution cubaine, depuis le début, c’est-à-dire depuis le renversement de la dictature de Batista – alliée des Etats-Unis – en 1961. Cette politique s’est traduit par le soutien à des projets d’invasion militaire, un embargo commercial, économique et financier, des actes de terrorisme, des tentatives d’assassinat des hauts dirigeants (dont Fidel Castro), le financement des dissidents, différentes tentatives de déstabilisation, etc.
Le coût de ces politiques était énorme. Selon le gouvernement cubain, chaque année, l’embargo coûtait à l’île 685 millions de dollars. Même récemment, en septembre dernier, plusieurs banques européennes ont été condamnées à payer des centaines de milliers de dollars d’amende pour violation de l’embargo américain sur Cuba. La banque allemande Commerzbank a reçu une amende de plus d’un milliard de dollars dans deux jugements distincts. De même, Washington a sommé BNP Paribas de verser 9 milliards de dollars pour violation de l’embargo sur Cuba, le Soudan et l’Iran.
« Développer le secteur privé »
Ce tournant politique ne signifie pas que l’impérialisme américain a renoncé à ses objectifs : la restauration de la propriété capitaliste à Cuba et la destruction des conquêtes de la révolution. Il a juste changé de tactique pour atteindre le même but.
Depuis de nombreuses années, une partie de la classe dirigeante américaine souligne l’échec de la tentative de renverser la révolution cubaine par la force. Par ailleurs, Cuba avait ouvert certains secteurs aux investissements étrangers ; les entreprises américaines perdaient des occasions d’affaires potentiellement rentables, au bénéfice des capitalistes canadiens et européens. Surtout, de nombreux dirigeants américains font valoir que l’objectif de restaurer le capitalisme à Cuba serait mieux servi par un changement de tactique. Telle est bien la véritable signification de l’annonce d’une reprise des relations diplomatiques avec l’île.
Si l’on regarde le détail des mesures adoptées par Obama, il est clair qu’elles visent à promouvoir et encourager le développement d’une classe capitaliste à Cuba. Dans sa déclaration, Obama affirme notamment : « Ce changement de politique va faciliter le travail des Américains pour assurer des formations aux entreprises privées cubaines et aux petits agriculteurs, entre autres moyens de soutenir le développement du secteur privé naissant à Cuba. D’autres méthodes pour promouvoir l’entrepreneuriat et le secteur privé à Cuba seront étudiées. »
L’accord comprend la possibilité de transférer dans l’île des fonds plus importants, jusqu’à 2000 dollars au lieu de 500. Par ailleurs, « le soutien au développement d’entreprises privées à Cuba ne passera plus par l’octroi d’une licence spécifique ». Ceci s’accompagne de toute une série d’autres mesures visant à alléger l’embargo, comme l’utilisation de cartes de crédit américaines sur l’île, la possibilité donnée aux banques américaines d’ouvrir des comptes à Cuba, l’allègement de certaines restrictions sur les importations et les exportations, etc.
Chine et Vietnam : des « modèles » à suivre ?
Cette nouvelle approche n’aurait pas été décidée et annoncée si elle n’avait pas le soutien d’une partie des dirigeants cubains. Comme l’écrivait le New York Time, le 14 décembre, la « Vieille Garde » cubaine craint que la libéralisation de certains secteurs de l’économie déstabilise le gouvernement, mais l’aile « réformiste » répond qu’en raison de l’état actuel de l’économie cubaine, la situation n’est pas tenable – et donc, le développement du secteur privé est nécessaire.
Omar Everleny, professeur à l’Université de La Havane, est l’un des économistes les plus influents dans la tendance réformiste au sein du régime cubain. Selon lui, la solution aux problèmes de l’économie cubaine est à chercher du côté des « modèles » vietnamiens et chinois. Ces deux pays auraient démontré que l’on peut recourir massivement aux investissements étrangers et obtenir de bons résultats économiques sans perdre le contrôle politique. La Chine n’a-t-elle pas connu les taux de croissance les plus élevés au monde depuis la libéralisation de son économie ?
Le problème, c’est que ce genre de mesures va acquérir une dynamique propre et, comme le montre l’expérience chinoise, mènera à la restauration du capitalisme. Cela finira par détruire tous les acquis de la révolution, en particulier dans les domaines de la santé, de l’éducation et du logement. S’il a été impossible d’enrayer la restauration du capitalisme en Chine, comment pourrait-il en être autrement sur une petite île avec des ressources limitées et qui, de surcroît, est dans une position beaucoup moins favorable que la Chine lorsque celle-ci intégra le marché mondial ?
Quelle issue ?
La situation mondiale se caractérise par une crise majeure du capitalisme et la remise en cause de ce système dans un nombre croissant de pays. Ceci joue en faveur de la révolution cubaine. Cependant, la situation sur l’île ne laisse pas beaucoup de marge de manœuvre. Les problèmes économiques résultant de la faible intégration de l’île au marché mondial sont aggravés par le poids du bureaucratisme. Ainsi, le statu quo ne peut durer indéfiniment.
Le principal danger auquel la révolution cubaine fait face, c’est son isolement. Toute l’histoire des relations entre Cuba et l’Union soviétique, puis le Venezuela, souligne que la révolution cubaine, si elle veut survivre, doit trouver des alliés. En dernière analyse, son sort sera décidé dans l’arène de la lutte de classe à l’échelle internationale.
A l’inverse, les développements révolutionnaires dans d’autres pays auront un impact sur le rapport de force interne à l’île, à l’avantage de ceux qui affirment – à juste titre – que la défense des conquêtes de la révolution est liée à la défense des formes de propriété publique qui les ont rendues possibles.