Du fait de l’épidémie, le secteur du BTP est frappé par un ralentissement brutal de son activité. Les entreprises du bâtiment sont confrontées aux difficultés d’approvisionnement, à un nombre croissant de travailleurs malades, ainsi qu’à l’absence cruelle de protections.
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Dans un premier temps, les grandes fédérations patronales du secteur – la FFB, la FNTP et la CAPEB – ont demandé un arrêt des chantiers. Mais le gouvernement ne l’entendait pas de cette oreille. Le 19 mars, en contradiction totale avec la communication officielle sur le confinement, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, s’est dite « scandalisée de voir qu’hier, la fédération de la CAPEB a écrit à tous les artisans en disant “Arrêtez tous les chantiers” ». Elle a tout bonnement qualifié le BTP de « défaitiste », appelant à l’optimisme et au « civisme ».
Ignorant la réalité du terrain, elle a même accusé les entreprises du bâtiment d’« abuser du dispositif chômage partiel ». Or, comment poursuivre les chantiers dans des conditions sanitaires viables, sans mettre en péril la santé des travailleurs ?
Chantage et grand marchandage
Ces propos scandaleux se sont traduits dans les faits par une restriction des autorisations de recours au chômage partiel. En effet, dès le 19 mars, les entreprises se sont heurtées au blocage de leurs demandes par les DIRECCTE [1], qui voulaient les empêcher de fermer boutique. Dans une lettre ouverte adressée à Muriel Pénicaud, Jacques Chanut, président de la Fédération Française du Bâtiment, dénonçait immédiatement la situation : « les forces de l’ordre enjoignent nos salariés de quitter les lieux, les clients refusent l’accès aux chantiers et – c’est le plus important au final – nos salariés sont légitimement inquiets pour leur santé. Impossible dans cette situation d’assurer un fonctionnement normal de nos activités. […] Le chantage exercé par les DIRECCTE auprès de nos fédérations locales depuis plusieurs jours est inqualifiable. De qui se moque-t-on ?! ».
Cependant, ces préoccupations vertueuses des fédérations patronales du BTP n’ont pas fait long feu. Elles qui, le 19 mars, montaient au créneau contre le gouvernement, ont vite changé leur fusille d’épaule. Deux jours plus tard, elles se disaient prêtes à négocier avec le gouvernement les conditions de la reprise des chantiers au plus tôt. A la clé, rien de moins qu’un « assouplissement » du Code du Travail : augmentation du quota d’heures supplémentaires, utilisation forcée de jours de congés payés et de RTT – outre l’autorisation de recourir au chômage partiel. L’heure n’est donc plus à la défense de la sécurité des salariés, mais plutôt à un grand marchandage autour du Code du Travail. La Fédération Nationale des Travaux Publics ne perd pas le nord, expliquant qu’au sortir de l’épidémie, « il faudra rattraper le retard, et nous aurons alors besoin de quotas plus importants d’heures supplémentaires ». Chapeau l’artiste !
Toutes ces manœuvres se sont soldées, le 2 avril, par un « guide officiel » validé par les ministères de la Transition écologique, du Logement, de la Santé, du Travail et les fédérations du BTP. Au programme, pour soi-disant assurer des conditions « acceptables » de sécurité : respecter les différents gestes « barrière », arriver en véhicule individuel, manger seul ou à distance, se laver fréquemment les mains, limiter les contacts. Mission impossible ! Le guide pousse le cynisme jusqu’à proposer un tutoriel sobrement intitulé : « Porter efficacement son masque dans l’atelier et sur le chantier du BTP ». Quels masques ?!
Muriel Pénicaud se dit « heureuse d’avoir trouvé un accord avec le BTP », sans préciser bien sûr que cet « accord » a été négocié sans les architectes, les maîtres d’œuvre (premiers responsables des chantiers) et bien sûr les salariés eux-mêmes.
La réalité du terrain
Le gouvernement a-t-il seulement une vague idée des conditions de travail sur un chantier ? Dans les vestiaires exigus où trône un unique banc au milieu d’une ribambelle de casiers, la promiscuité est inévitable. Ouvrir le casier, se changer, chausser les bottes de chantier, mettre le casque, fermer le casier, traverser les baraques pour aller se laver les mains dans des sanitaires parfois éloignés – le tout sans jamais croiser de près les collègues ? Cela relève de la prouesse acrobatique ! A midi, il faut se restaurer dans un réfectoire souvent bondé (pour les grands chantiers qui en sont encore pourvus), ou apporter sa gamelle qu’on réchauffe dans un four micro-ondes pris d’assaut, avant de s’installer au coude à coude autour de la table improvisée dans la salle de réunion.
Sur le terrain, les compagnons doivent souvent être à deux, côte à côte, pour travailler sur un même ouvrage. Il faut être deux ou trois pour porter une charge lourde. Sans parler des échanges d’outils, visites de chantier, réunions de chantier, etc. Il est clair que le respect des mesures dites « barrière » est ici complètement illusoire.
Alors que les masques et lunettes des entreprises du BTP ont été massivement réquisitionnés pour fournir les hôpitaux qui en sont cruellement dépourvus, comment les ouvriers sont-ils censés se protéger ? L’utilisation d’un masque est pourtant indispensable à chaque fois que les salariés sont exposés à des risques respiratoires : inhalation de poussières de bois (la deuxième cause de cancers liés au travail), de poussières d’amiantes et de gaz toxiques ; exposition aux vapeurs de solvants, etc. Si un salarié manquait à son obligation de respecter les règles de sécurité et qu’un accident se produisait, sa responsabilité pourrait être engagée. Une sanction disciplinaire, voire pénale, pourrait être prononcée contre lui. Voilà qui serait un comble !
Droit de retrait !
Le jeudi 12 mars, Macron déclarait : « tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprises, quoi qu’il en coûte ». Ce message s’adressait au grand Capital pour l’assurer du soutien financier de l’Etat. Pour les travailleurs, c’est plutôt : « continuez à travailler quoiqu’il vous en coûte ».
« Au fond, ils veulent bien accepter de perdre quelques salariés : c’est le pourcentage de perte acceptable en temps de guerre ! », dénonce Jacky Balmine, secrétaire général de la CGTR BTP. En période d’épidémie massive, le gouvernement n’hésite pas à risquer la vie de millions de travailleurs. En temps de guerre, il faut de la chair à canon – ou, en l’occurrence, « de la chair à béton », selon la formule d’Eric Robin, responsable de la CGT Construction dans les Alpes-Maritimes.
Suite à cette cacophonie d’injonctions paradoxales – « restez chez vous », puis « reprenez les chantiers » – la poursuite des chantiers tourne à la mascarade. La construction est-elle vraiment si vitale à la nation, en pleine épidémie ? Bien sûr que non. Et donc, les travailleurs du BTP doivent pouvoir exercer leur droit de retrait – avec payement intégral des salaires !
[1] Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi.