Le deuxième tour des élections municipales a été marqué par un nouveau record de l’abstention : 58,4 %. Sa principale cause n’est pas la crise sanitaire, mais le rejet de l’ensemble du système politique par des millions de jeunes, de salariés, de chômeurs et de retraités. L’abstention est la plus forte dans les couches les plus exploitées et opprimées de la population. Cela s’explique facilement. Ces dernières décennies, la succession de la droite et de la « gauche », au pouvoir, n’a rien changé à l’orientation fondamentale (pro-capitaliste) des politiques menées. A chaque scrutin, les mêmes promesses électorales reviennent, les mêmes formules creuses – mais rien ne change, sinon en pire.
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La principale « vague », dimanche, n’était pas « verte », mais abstentionniste. C’est le fait majeur de ce scrutin. L’abstention était même supérieure à la moyenne nationale dans les villes qui ont élu un maire « vert » : 62 % à Lyon, 61,7 % à Bordeaux, 65 % à Marseille, 67 % à Tours, 63,2 % à Strasbourg, etc.
Sans surprise, le parti de Macron subit une très lourde défaite, d’une ampleur inédite pour un parti au pouvoir. Dans la perspective des prochaines élections présidentielles, le chef de l’Etat va intensifier sa phraséologie environnementale (en contradiction totale avec sa politique réelle). Mais cela ne suffira pas à masquer le bilan économique et social du gouvernement, qui est déjà très négatif (sauf pour les riches) et va devenir catastrophique (sauf pour les mêmes) dans les mois qui viennent, du fait de la profonde récession économique.
La défaite de la droite dans quelques-uns de ses vieux bastions – dont Marseille – est une bonne nouvelle. Elle souligne que la crise des Républicains est loin d’être terminée. D’une part, ils payent toujours le rejet massif du gouvernement Sarkozy (2007-2012) et les multiples « affaires » impliquant ce parti. D’autre part, Emmanuel Macron applique le programme des Républicains, le programme de la grande bourgeoisie française. Dès lors, comment les Républicains peuvent-ils se distinguer de LREM ? En en rajoutant sur le nationalisme, le racisme et la défense de « l’autorité de l’Etat ». Mais c’est un créneau occupé de longue date par le RN – sans grand succès, d’ailleurs, à l’occasion de ces municipales. Le RN a pâti de l’abstention, car une fraction significative de son électorat, désormais, vient de ces couches exploitées et opprimées qui, cette fois-ci, ont envoyé au diable tout le système politique.
Les dirigeants des Verts et du PS voient dans leurs résultats un « tournant politique pour notre pays » (Yannick Jadot) ou l’avènement d’un « bloc social-écologiste » (Olivier Faure) susceptible de gagner les prochaines élections présidentielles. En réalité, dimanche, le « bloc » majoritaire – de très loin – était abstentionniste. Toute la question est de savoir quelles forces politiques et quels programmes vont réussir à mobiliser cette masse d’abstentionnistes, dans la période à venir.
En avril 2017, le « bloc » PS-EELV avait fait 6 % des voix (Benoît Hamon), pendant que Mélenchon faisait 20 % des voix. La dynamique, à gauche, était à l’avantage du programme le plus radical. Or la récession économique va développer le potentiel électoral d’une gauche « radicale » : c’est un élément central des perspectives pour la gauche.
Encore faut-il que les dirigeants de la FI soient à la hauteur de ce potentiel. Or c’est loin d’être évident. Aux municipales, ils ont multiplié les accords avec les Verts, le PS et le PCF, dès le premier tour, sous couvert d’une « fédération populaire » largement ignorée du peuple. En amont des élections, nous avions critiqué cette stratégie d’alliances sans principes. Nous avions défendu l’idée d’une campagne de la FI menée sur un programme radical, anti-capitaliste, en proposant un accord national au PCF et à l’extrême gauche. Indépendamment de son résultat électoral, cette stratégie aurait au moins permis de rendre visible un pôle de radicalité, à gauche. Au lieu de quoi la FI a pratiquement disparu des radars – au profit du PS et des Verts, dont les programmes sont extrêmement modérés.
Si la FI veut progresser, dans les mois à venir, elle doit virer à gauche. Elle doit notamment présenter une alternative claire au programme pro-capitaliste des Verts. Beaucoup d’électeurs qui ont voté pour les Verts n’adhèrent pas au programme de ce parti ; ils ont surtout envoyé un message à la classe politique : « occupez-vous de la crise climatique ! » Les Verts vont-ils régler ce problème ? Non, car ils défendent l’économie de marché, la domination des banques et des multinationales, c’est-à-dire le système économique et social qui est responsable de la crise environnementale. Au lieu de faire alliance avec les Verts, la FI doit critiquer l’orientation pro-capitaliste de ce parti – et présenter une alternative radicale, anti-capitaliste.
Les directions actuelles des Verts et du PS défendent le système capitaliste ; elles ne conçoivent pas d’alternative à ce système en faillite. Yannick Jadot souligne son attachement à l’économie de marché. Olivier Faure nourrit le projet vermoulu d’un capitalisme un peu plus « social » – et ce dans le contexte de la plus grave récession mondiale depuis les années 30 ! Tel est le fond de la question. Et tel doit être le point de départ d’une nette rupture – programmatique et stratégique – de la FI à l’égard du PS et des Verts. Toute ambiguïté, dans ce domaine, se ferait au détriment de la FI.
Enfin, la FI doit se préparer à une nette accélération de la lutte des classes et de la radicalisation politique, en France. Une catastrophe économique et sociale va balayer le pays à court terme. Elle a déjà commencé. Elle va faire sombrer le gouvernement Macron dans des abîmes d’impopularité. Un nouveau mouvement de masse pourrait se développer et ouvrir la possibilité d’une chute du gouvernement avant 2022. Dans ce contexte, la FI doit se tourner vers la « gauche radicale » et le mouvement syndical, à commencer par la CGT, pour préparer la mobilisation, dans les rues et par la grève, contre le « gouvernement des riches » – et pour un gouvernement des travailleurs. Cette démarche rencontrerait un écho massif dans la jeunesse et le salariat. Au passage, elle marquerait nettement la différence entre la FI et les chantres du « bloc social-écologiste ».