La crise politique au Pérou s’est brutalement accélérée ces dernières heures. Le Président Castillo a décrété la suspension du Parlement, avant d’être arrêté par la police. Le parlement a voté sa destitution et a proclamé la vice-présidente nouvelle présidente du pays.
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Que signifient ces événements?
Pour le comprendre, nous devons laisser de côté les aspects constitutionnels et nous concentrer sur le cœur de ce qui vient de se produire : la CONFIEP (la confédération patronale), l’armée, la police, les médias capitalistes, l’ambassade américaine et les multinationales du secteur minier ont, via leurs agents au parlement, destitué le président Castillo du poste auquel il avait été démocratiquement élu par le peuple. Il s’agit par conséquent d’un coup d’Etat réactionnaire.
Castillo, un dirigeant syndical enseignant disposant de fortes bases dans les zones rurales, a été élu en juillet 2021, défiant tous les pronostics. C’était l’expression de la colère des masses exploitées du Pérou, des paysans pauvres, des ouvriers et des populations indigènes. Toutes les couches opprimées de la société espéraient un changement fondamental dans l’équilibre de la société, ce qu’ils ont exprimé par la revendication d’une assemblée constituante. Ils se sont ralliés au slogan de Castillo : « il ne devrait pas y avoir de pauvres dans un pays riche ». Les capitalistes qui possèdent le pays ne pouvaient pas accepter une telle situation.
Castillo, et le parti qu’il représentait – Peru Libre, avaient deux sérieuses faiblesses.
La première tenait à leur programme politique de réformes sociales sans rupture avec le capitalisme. Cette approche était purement utopique et toute tentative de l’appliquer ne pouvait avoir que deux issues : soit les réformes étaient appliquées en rompant avec le capitalisme, soit le capitalisme était préservé et les réformes étaient abandonnées.
La seconde tenait au fait que l’arithmétique parlementaire était défavorable à Castillo. La volonté démocratique des masses ne pouvait donc s’exercer que par une pression directe dans les rues. Mais jamais Castillo ou Peru Libre n’ont sérieusement appelé à une telle mobilisation, sans même parler de l’organiser.
A partir du moment où Castillo s’est résigné à n’agir que dans le cadre étroit des institutions bourgeoises, il a du faire des concessions de plus en plus importantes aux « pouvoirs en place » capitalistes. Il a renvoyé des ministres qui déplaisaient aux multinationales minières. Il a renvoyé le Chancelier contre lequel l’armée avait protesté. Il a remplacé tous ceux que n’aimait pas la confédération patronale. C’était une erreur fatale, parce ces concessions n’étaient pas suffisantes pour satisfaire l’oligarchie, qui en réclamait toujours davantage, tandis que chaque pas dans cette direction sapait la base populaire de Castillo.
Une alternative était-elle possible ? Oui. Il aurait été possible d’appeler les masses à descendre dans les rues, de dissoudre le parlement et de convoquer une assemblée révolutionnaire nationale, et de combiner ces actions avec des coups portés à la puissance économique et politique de l’oligarchie capitaliste (nationalisation du gaz, annulation des accords miniers, etc). Cette stratégie risquée aurait-elle pu échouer ? Bien sûr. Il n’y a pas de garantie de victoire dans la lutte des classes. Mais la politique de conciliation de classe, elle, ne peut mener qu’à la défaite.
Des erreurs ont aussi été commises par le parti Peru Libre (qui avait rompu avec Castillo) et son dirigeant Cerron. Au parlement, ils ont flirté avec les députés Fujimoristes (les députés de droite partisans de l’ancien dictateur Fujimori) par pure hostilité envers Castillo. AU lieu de ces manœuvres parlementaires sans principe, Peru Libre aurait dû chercher à bâtir une base de soutien parmi les masses pour exercer une pression sur la gauche de Castillo et, au cas où il y ait résisté, se préparer à le renverser.
Il y a environ un mois, Castillo avait épuisé presque tout son capital politique et ne jouissait plus que de la sympathie des couches les plus opprimées de la population, mais sans aucune organisation ni mobilisation de masse. Privé de tout soutien parlementaire, Castillo fit alors appel… à l’Organisation des Etats Américains (OEA) ! C’était déjà l’erreur commise par Evo Morales il y a quelques années en Bolivie, et elle a mené au même résultat : le renversement d’Evo ! Il semble qu’aucune leçon n’ait été retenue.
Et finalement, dans un dernier geste de désespoir, pour éviter d’être destitué par le parlement, il a tenté de dissoudre le parlement. Mais plutôt que de s’appuyer sur les masses, il semblait espérer le soutien… de l’armée !
La classe dirigeante a immédiatement réagi comme la machine bien huilée qu’elle est, et a appliqué un plan préparé d’avance. Castillo a été arrêté. Un arrangement politique est conclu entre les Fujimoristes, la droite traditionnelle et la « gauche caviar ». La destitution a été approuvée par le parlement, avec l’appui de la majorité des députés de Peru Libre et du « bloc des instituteurs », les partisans de Castillo. La vice-présidente de Castillo a été nommée présidente avec le soutien de la majorité du parlement et a appelé à un gouvernement d’« unité nationale », c’est-à-dire à un gouvernement d’unité de tous les partis contre les aspirations des travailleurs. L’OEA et les Etats-Unis ont immédiatement reconnu le nouveau gouvernement non élu. Le coup d’Etat est accompli.
Il reste à voir quelle sera la réaction des masses dans les prochaines heures. Il faut s’attendre à ce qu’elles sortent dans les rues, en particulier en dehors de la capitale Lima, dans le sud du pays et les provinces rurales. On ne peut prévoir quelles seront la force et la détermination de cette réaction populaire. Castillo a certes sapé sa propre base de soutien, mais la haine de l’oligarchie reste néanmoins profonde.
A l’étranger, il nous faut organiser la condamnation internationale du coup d’Etat, et aider à tirer les conclusions politiques nécessaires pour le Pérou et l’Amérique latine. Car même si le nouveau régime devait se consolider (et cela n’est pas du tout certain), la lutte n’est pas terminée.