Dans la crise actuelle autour de l’Ukraine, le Canada n’a pas joué son rôle habituel de jeune frère doux et docile de l’impérialisme américain. Comme le soulignait récemment un éditorial du Toronto Star, le Canada « joue au cow-boy » et se montre « inhabituellement belliqueux ».
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Loin d’être inhabituelle, cette attitude est tout à fait conforme à l’approche typique du Canada vis-à-vis de l’Ukraine. Se posant en protecteur bienveillant pour couvrir ses propres manœuvres impérialistes, les dénonciations du Canada de « l’agression russe » sont lourdes d’hypocrisie.
« Droits de la personne et dignité »
Lors de sa récente visite à Kiev, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a déclaré : « Le regroupement de troupes et d’équipement russes en Ukraine et dans les environs met en péril la sécurité de toute la région. Il faut dissuader la Russie de poursuivre ces actions agressives. Le Canada travaillera avec ses partenaires internationaux pour faire respecter l’ordre international fondé sur des règles et préserver les droits de la personne et la dignité des Ukrainiens. » Elle a ajouté : « Le renforcement militaire de la Russie autour de l’Ukraine est inacceptable. La Russie est l’agresseur », et le Canada est « solidaire de l’Ukraine ».
En entendant de telles déclarations, on pourrait facilement oublier que les troupes amassées par la Russie sont une réponse au refus de l’Occident de garantir que l’OTAN ne s’étendra pas plus à l’est. Si la position de la Russie considère manifestement l’Ukraine comme son arrière-cour plutôt que comme une nation souveraine, elle n’est pas non plus surprenante. Il est difficile d’imaginer, par exemple, que les États-Unis accepteraient une présence militaire russe au Mexique avec la même bonne grâce que celle exigée de la Russie. Les forces de l’OTAN disposent déjà d’une base en Lettonie, dirigée par des soldats canadiens, constituant la plus importante présence militaire canadienne à l’étranger, qui organise de temps à autre des jeux de guerre tape-à-l’œil simulant une bataille avec la Russie.
Pendant ce temps, les pays occidentaux, et notamment le Canada, s’ingèrent en Ukraine depuis des années. C’est sans ironie que des dirigeants occidentaux comme Boris Johnson accusent le régime de Poutine de comploter pour changer de régime en Ukraine alors que c’est précisément ce que les pays de l’OTAN ont fait. Le mouvement Euromaïdan de 2014 a renversé le président de l’époque, Victor Ianoukovitch, avec le soutien massif des pays de l’OTAN, l’ambassade du Canada à Kiev allant jusqu’à abriter des manifestants antigouvernementaux et à leur permettre de l’utiliser comme base d’opérations. Depuis lors, le Canada a maintenu une présence militaire en Ukraine de 200 conseillers, et a vendu des armes à l’Ukraine. À l’heure actuelle, les fabricants d’armes canadiens prévoient de construire une usine de munitions en Ukraine, car la seule usine de munitions ukrainienne se trouve dans la région du Donbass contrôlée par les séparatistes – l’une des nombreuses occasions d’affaires qui se sont ouvertes en Ukraine aux capitalistes canadiens grâce à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement favorable aux Occidentaux.
Le Canada a également fourni de la formation aux forces armées ukrainiennes, notoirement à des troupes associées au bataillon néo-nazi Azov, connu pour avoir attaqué des antifascistes, des personnes LGBTQ et des Roms, et pour recourir à la torture et avoir commis d’autres crimes de guerre. Ce n’est pas le résultat d’un accident ou d’un oubli : les représentants canadiens ont sciemment rencontré des nazis de l’armée ukrainienne, et étaient plus préoccupés par les apparences que par toute autre chose. Belle façon de « faire respecter l’ordre international fondé sur des règles » et de « préserver les droits de la personne et la dignité des Ukrainiens »!
Agression de l’OTAN
Les médias occidentaux répètent sans hésitation l’allégation impérialiste d’« agression russe », mais restent totalement silencieux sur l’agressivité de l’OTAN. L’OTAN a été créée en tant que branche militaire des États capitalistes antisoviétiques, et n’a rien à voir avec le maintien de la paix ou de la démocratie. Lorsque le pacte de Varsovie a été dissous, la prétendue raison d’être de l’OTAN a cessé d’exister, et de l’avis général, l’OTAN aurait dû être dissoute également. Pendant cette période, l’OTAN s’est engagée à ne pas étendre ses frontières. Mais au lieu de cela, nous avons assisté à une expansion militaire et économique croissante des puissances impérialistes occidentales jusqu’à la frontière avec la Russie.
La liste des missions de l’OTAN se lit comme une liste d’aventures réactionnaires et sanglantes. Au cours des années 1990, l’OTAN a mené une série de bombardements dans l’ex-Yougoslavie pour maintenir les populations de la région affaiblies, divisées et sous la botte de telle ou telle puissance impérialiste. De nombreux civils sont morts au cours de ces bombardements. Les conditions terribles que connaissent aujourd’hui les populations des Balkans sont en grande partie des séquelles de l’intervention de l’OTAN.
La guerre criminelle et meurtrière en Afghanistan a succédé à la Yougoslavie. À l’époque, les gens se demandaient ce que pouvait bien faire l’« Organisation du traité de l’Atlantique Nord » en Asie centrale – très loin du Nord et de l’océan Atlantique. La classe ouvrière s’opposait massivement au déclenchement d’une guerre qui visait à obtenir des droits miniers et installer des bases militaires. À son honneur, Jack Layton s’est opposé à la guerre, ce qui lui a valu le surnom de « Jack le Taliban » de la part des grands médias. Aujourd’hui, après des décennies de sang versé et d’argent gaspillé, les puissances occidentales ont été forcées de quitter l’Afghanistan, laissant le pays en ruine.
Enfin, les jets de l’OTAN ont joué un rôle criminel en bombardant la Libye. Leur intervention visait à diviser le mouvement révolutionnaire et à favoriser les factions pro-impérialistes. Aujourd’hui, la Libye divisée est faible et en crise. L’histoire nous montre très clairement le caractère belliqueux de l’OTAN, une institution qui fait partout des victimes civiles où elle passe et laisse derrière elle oppression et exploitation nationale. La classe ouvrière n’a absolument rien à gagner à soutenir les objectifs de guerre impérialistes de l’OTAN.
Pourquoi si belliqueux?
En tant que membre de l’OTAN, le Canada aurait tout intérêt à encercler la Russie autant que possible, en éloignant les anciennes républiques soviétiques et les pays du Pacte de Varsovie de la sphère d’influence de la Russie. Éliminer la Russie sur le plan géopolitique signifie également ouvrir l’Ukraine sur le plan économique aux capitalistes canadiens. En effet, en 2017, le Canada et l’Ukraine ont signé un accord de libre-échange, qui a été élargi à nouveau en 2020. Le Canada a ainsi accès à un marché historiquement dominé par la Russie. Et, chose importante, le fait que l’Ukraine soit tournée vers l’orient ou vers l’occident influence également qui obtient le droit de récolter les bénéfices de la privatisation du secteur public du pays. Comme l’a déclaré l’ambassadeur ukrainien au Canada en 2017 à propos de l’accord de libre-échange, « Nous sommes encore en train de nous transformer en une économie de marché, donc les marchés publics seront énormes, pas seulement avec les organismes, mais aussi les entreprises d’État, y compris les chemins de fer. C’est comme un océan Pacifique d’occasions d’affaires avec 14,6 milliards de dollars par an de marchés publics. »
L’ambassadeur a ajouté : « Les entreprises canadiennes nous apporteront non seulement des emplois de bonne qualité, mais elles nous aideront à lutter contre la corruption, un sujet qui nous tient à cœur. » Une grande partie de la présence occidentale en Ukraine, des prêts canadiens à la restructuration du FMI, se fait au nom de la « lutte contre la corruption » Cela ne signifie pas se diriger vers un système qui sert les intérêts de l’Ukrainien moyen. « Lutter contre la corruption » signifie simplement donner aux capitalistes occidentaux les mêmes occasions d’affaires que les gangsters et les oligarques qui ont traditionnellement dominé l’économie ukrainienne.
À cela s’ajoute le calcul politique consistant à chercher à plaire à la communauté ukrainienne canadienne organisée. Le Canada abrite la plus grande population d’Ukrainiens en dehors de l’Ukraine ou de la Russie, et si les premières vagues d’immigrants ukrainiens ont joué un rôle important dans les mouvements ouvriers et communistes au Canada, ceux qui sont arrivés après la guerre étaient résolument nationalistes et anticommunistes. Ils constituent la base de la communauté « officielle » que nous voyons aujourd’hui, qui est très organisée et très active sur le plan politique. C’est à cette communauté que les politiciens s’adressent lorsqu’ils parlent de « défendre l’indépendance de l’Ukraine ». Il se trouve que « défendre l’indépendance de l’Ukraine » revient à donner aux puissances occidentales la possibilité d’exploiter l’Ukraine.
Position honteuse du NPD en faveur de la guerre
Abandonnant l’héritage de l’opposition de Jack Layton à la guerre de l’OTAN en Afghanistan, et la position traditionnelle du NPD dans les années 1980, qui était de quitter l’OTAN, le parti social-démocrate du Canada a publié une déclaration mièvre soutenant l’agression impérialiste de l’OTAN.
Le NPD se dit « alarmé » par l’agression russe, mais il est complètement silencieux sur l’agression de l’OTAN et le gouvernement de droite de l’Ukraine. Pour tenter de se couvrir, il répète le discours orwellien sur l’aide « non létale » et la formation militaire « sans combat », comme si les forces spéciales canadiennes en Ukraine apprenaient aux gens à faire des nœuds et à jouer à la crosse! Après avoir appelé à la « consolidation de la paix », le parti préconise ensuite des sanctions, qui sont elles-mêmes un acte de guerre. Il affirme que c’est seulement « comme moyen de dissuasion », ce qui est ironiquement exactement le même langage que toutes les puissances impérialistes utilisent comme prélude à la guerre.
Réalisant qu’il se trouve en terrain glissant en raison des liens bien documentés entre le gouvernement ukrainien de droite et des groupes fascistes, le parti tente maladroitement de présenter ces forces comme une « petite partie » de l’armée ukrainienne. La déclaration va même jusqu’à comparer cela au petit nombre de fascistes dans l’armée canadienne. Nous sommes les derniers à excuser l’armée canadienne pour son laxisme face à l’infiltration de l’extrême-droite, mais pour autant que nous sachions, les fascistes canadiens ne contrôlent pas des divisions militaires complètes et ne sont pas capables d’exhiber leur histoire nazie en public!
La déclaration du NPD se termine par un appel totalement bizarre à une « politique étrangère féministe », comme si les bombes de l’OTAN ou les sympathisants nazis avaient jamais fait quoi que ce soit dans l’intérêt des femmes! Ce mensonge des bombes « féministes » s’est révélé être pure propagande lors de la guerre en Afghanistan, et il en va de même pour l’Ukraine. Si le NPD veut vraiment soutenir les femmes, il devrait immédiatement demander le retrait de l’OTAN de l’Ukraine. Les millions de dollars qui soutiennent ce régime de droite seraient bien mieux utilisés pour financer des refuges au Canada pour les femmes qui fuient la violence. Le Canada n’est pas en Ukraine pour des raisons de « féminisme », de « paix » ou de « diplomatie », il y est pour des raisons de profits et de positionnement stratégique. On peut être pour la paix et pour les femmes, ou on peut être pour l’OTAN et l’impérialisme canadien, mais on ne peut pas être pour les deux. Le NPD devrait utiliser sa plateforme pour révéler cette vérité aux travailleurs canadiens.
Chasse aux sorcières contre la gauche du NPD
Après la capitulation honteuse de la bureaucratie néo-démocrate, les médias de droite ont saisi l’occasion pour écarter toute voix opposée à la guerre. C’est la méthode traditionnelle à l’approche d’un conflit, où l’éventail de l’opinion publique « acceptable » est hystériquement réduit pour exclure tout point de vue divergent.
La députée néo-démocrate de Winnipeg Leah Gazan a été vilipendée pour avoir tweeté contre les néo-nazis ukrainiens et a été contrainte de présenter des excuses par la bureaucratie du parti. Des groupes sionistes ont également attaqué Gazan, montrant qu’ils sont plus intéressés à soutenir l’impérialisme qu’à combattre le véritable antisémitisme.
La députée de gauche Niki Ashton et le député de Vancouver Don Davies ont également été attaqués pour avoir retweeté des podcasts anti-guerre. Malheureusement, personne dans la gauche du NPD ne s’est ouvertement exprimé pour dire que les travailleurs devraient s’opposer à l’expansionnisme de l’OTAN. Cette tentative de masquer les divisions au sein du NPD ne durera pas et finira par déboucher sur un conflit ouvert. L’histoire montre que ceux qui ont le courage de s’opposer à la guerre sont calomniés lorsque résonnent les tambours de guerre. Mais à long terme, ceux qui s’opposent à l’impérialisme sont ceux qui ont raison et gagnent le soutien de la population.
Opposons-nous à l’impérialisme canadien
Au Canada, notre première tâche est de nous opposer à l’impérialisme canadien. Agir autrement revient à prêter foi à la fausse idée que l’impérialisme canadien est un gardien de la paix bienveillant dans le monde. Le Canada est en Ukraine pour profiter de l’éviscération du secteur public. Le fait qu’il ait dû s’acoquiner avec des néo-nazis et les financer montre que les objectifs du gouvernement canadien ne sont pas altruistes. Alors que les politiciens canadiens débitent des platitudes sur « les droits de la personne et la dignité » en Ukraine, l’État canadien réprime brutalement les Autochtones de Wet’suwet’en qui défendent leurs droits et leur territoire. L’idée que le Canada représente une version plus douce du capitalisme est un mythe.
Il va sans dire que Poutine cherche à protéger les intérêts du capitalisme russe – et le capitalisme russe a certaines ambitions impérialistes. Mais quand les deux côtés sont réactionnaires, la solution n’est pas d’en remplacer un par l’autre. Le capitalisme a échoué en Ukraine. Au cours des 30 dernières années, il n’a apporté aux travailleurs ukrainiens que des niveaux de vie inférieurs, la corruption, l’exploitation et la guerre. Ce conflit est un conflit impérialiste dont les travailleurs ukrainiens, canadiens et russes ne tireront aucun avantage. Les deux parties traitent l’Ukraine comme un simple pion dans leurs jeux géopolitiques. Il n’y aura rien de tel que la « démocratie » ou la « dignité » en Ukraine tant qu’elle sera un terrain de jeu pour l’impérialisme. Nous disons, que le Canada se retire de l’Ukraine.