Tout le monde l’a compris : la contre-réforme des retraites aurait pour conséquences soit d’augmenter le nombre d’années travaillées, soit de baisser le montant des pensions. Pour beaucoup de travailleurs (et à terme, pour tous), les deux effets se cumuleraient. Par ailleurs, le système de retraites « à points » permettrait aux futurs gouvernements d’aggraver la situation sans avoir à passer par une nouvelle « réforme ». Il leur suffirait d’un simple calcul, fondé sur des données économiques et démographiques plus ou moins objectives, donc manipulables.
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Depuis qu’Edouard Balladur, en 1993, a porté la durée de cotisation des salariés du privé de 37,5 à 40 ans, les nouvelles attaques se sont multipliées : 2003, 2008, 2010, 2014... Jouant à la fois sur la durée de cotisations et l’âge de départ, cette succession de contre-réformes a fini par repousser l’âge légal du départ à la retraite à 62 ans, et la durée de cotisations à 43 ans.
Mise en scène
Macron, lui, veut dynamiter le système. Echaudé par les Gilets jaunes (qui n’ont jamais demandé une baisse des pensions, à notre connaissance), le gouvernement va déployer différentes manœuvres pour tenter de désamorcer la contestation sociale ou, au moins, d’en limiter l’ampleur. Il a annoncé un « grand débat », c’est-à-dire un nouveau monologue présidentiel, après celui de janvier à mars 2019. Il est peu probable que le deuxième ait davantage de succès que le premier, sauf bien sûr auprès des journalistes des grands médias, qui vont pouvoir s’adonner à leur sport favori : vanter l’« expertise », le « brio » et les chemises du chef de l’Etat.
Parallèlement à ce pseudo-débat dont les conclusions sont déjà écrites, le gouvernement poursuivra les « concertations » avec les chefs syndicaux du mouvement ouvrier. Soyons clairs : ces réunions avec les directions confédérales ne feront pas reculer le gouvernement d’un millimètre. Elles n’ont toujours eu qu’un seul et unique objectif : afficher un simulacre de « démocratie sociale », dans l’espoir d’affaiblir la contestation. En y participant, les dirigeants syndicaux donnent corps à cette comédie.
Certains poussent le vice jusqu’à y jouer un rôle précis et fixé d’avance par les deux parties. Combien de fois a-t-on vu, par le passé, tel pantin de la CFDT annoncer triomphalement que son syndicat renonçait à toute mobilisation parce qu’il avait « obtenu » du gouvernement une « concession importante » ? A l’examen, la « concession » – préparée de longue main par le gouvernement – était dérisoire au regard du reste de la contre-réforme. Mais l’essentiel était ailleurs : dans la capitulation de la CFDT. On ne serait pas étonné que sa direction confédérale nous rejoue la même pathétique partition, cette fois encore.
Grèves reconductibles
La lutte contre la casse des retraites ne se gagnera pas dans les salons dorés de l’Elysée ou de Matignon. Elle se gagnera dans la rue et par la grève. Et compte tenu de la détermination du gouvernement et du patronat à faire passer cette contre-réforme, il faudra un mouvement social d’une puissance exceptionnelle pour y faire obstacle.
Les dirigeants syndicaux – CGT en tête – devraient claquer la porte des « concertations » et se tourner vers les travailleurs pour leur dire la vérité : seul un mouvement de grèves reconductibles embrassant un nombre croissant de secteurs économiques sera susceptible de faire reculer le pouvoir. Une vaste campagne d’agitation, dans les entreprises et la Fonction publique, devrait être organisée pour mettre à l’ordre du jour un tel mouvement. La jeunesse lycéenne et étudiante devrait être placée sur le pied de guerre.
Voilà ce que devraient faire les dirigeants syndicaux. Cependant, l’expérience de ces vingt dernières années a démontré que les directions confédérales – CGT comprise – ne sont pas disposées à organiser une lutte de cette nature et de cette envergure. Au mieux, elles organisent des « journées d’action » qui ne servent à rien même lorsqu’elles sont massives, car elles n’effrayent pas le gouvernement et n’entament pas sa détermination à nous imposer la régression sociale. Au pire, les directions syndicales capitulent d’emblée et ouvertement, comme l’ont fait à plusieurs reprises les chefs de la CFDT – et même ceux de FO en 2017 (loi Travail).
Ainsi, les travailleurs et les militants syndicaux ne doivent pas attendre passivement que les directions confédérales organisent le combat. D’une part, ils doivent exercer une pression forte et constante sur les sommets syndicaux, pour qu’ils passent à l’action. D’autre part et surtout, ils doivent prendre des initiatives à la base, à l’échelle des entreprises et des différentes structures syndicales, pour lancer une campagne d’agitation massive en faveur d’un mouvement de grèves reconductibles. Partout où c’est possible, des AG interprofessionnelles – comme à l’automne 2010 – doivent être organisées. Des coordinations de ces AG, aux plans local et national, doivent y être élues pour développer la campagne d’agitation et préparer la grève. Au passage, c’est ce travail qui exercera la pression la plus efficace sur les directions confédérales.
La grève de la RATP et le 5 décembre
Nous ne disons pas que l’organisation d’une grève générale serait facile. On ne peut vérifier que dans l’action elle-même si les travailleurs y sont prêts. Mais nous ne partons pas de rien. Le mouvement des Gilets jaunes a montré quelles quantités de colère et de combativité bouillonnent dans les profondeurs de la société. Les grèves des urgentistes et des pompiers soulignent la même chose. Enfin, la puissante grève des salariés de la RATP, le 13 septembre, a envoyé un signal fort à toutes les catégories de travailleurs : « voilà ce qu’on peut et ce qu’on doit faire ! »
Forts de ce succès, les syndicats de la RATP annoncent une grève illimitée à partir du 5 décembre. Des syndicats de la SNCF – entre autres – se sont ralliés à cet appel. Ainsi, le 5 décembre émerge comme un point de convergence possible pour toutes les forces qui seront prêtes, d’ici là, à se lancer dans la grève. Cette date, qui laisse deux mois pour organiser la mobilisation, sur le terrain, peut marquer le point de départ d’un nouveau « décembre 95 ».
Bien sûr, le gouvernement jouera à fond la carte de la division : il proposera de négocier avec les dirigeants syndicaux de certains secteurs (RATP et chauffeurs routiers, par exemple) pour les démobiliser – et donc affaiblir le reste de notre camp. Ce ne serait pas la première fois qu’un gouvernement procède ainsi, ni que des dirigeants syndicaux s’y prêtent volontiers. Des initiatives doivent être prises, à tous les niveaux, contre ce risque d’un fractionnement de la lutte. C’est l’un des rôles que peuvent jouer, sur le terrain, les AG interprofessionnelles.
Le levier politique
Il y a un autre levier important de la mobilisation : la perspective politique qu’elle ouvre. Le chef de la CGT, Philippe Martinez, déclare qu’« une autre réforme des retraites est possible ». Il parle évidemment d’une réforme progressiste, qui par exemple reviendrait à 37,5 annuités de cotisations et à 60 ans pour l’âge légal de départ, comme avant 1993. En effet, « c’est possible » ! Mais pas sous le gouvernement Macron, de toute évidence. Ce dernier aimerait mieux brûler en enfer – ou, avant cela, dissoudre l’Assemblée nationale – plutôt que de mettre en œuvre ce type de réforme progressiste. Donc, si l’on veut qu’elle soit mise en œuvre, il faut d’abord en finir avec ce gouvernement.
Nous voilà ramenés à l’excellent mot d’ordre des Gilets jaunes : « Dissolution de l’Assemblée nationale ! » Bien sûr, il doit être accompagné d’un programme général de mesures progressistes, comme l’abrogation des lois Travail et autres contre-réformes de ces 30 dernières années, la renationalisation des entreprises privatisées pendant la même période, la nationalisation de toutes les industries classées Seveso, l’embauche massive de fonctionnaires, l’abrogation des lois racistes, etc. Massivement popularisé par la « gauche radicale » et les militants syndicaux, un programme de ce type donnerait une énorme impulsion à la mobilisation, car il ouvrirait comme perspective non seulement de faire reculer Macron sur les retraites, mais aussi d’en finir avec son gouvernement et toute sa politique réactionnaire.