Le 30 octobre dernier, au Brésil, Luiz Ignacio Lula – le candidat du Parti des travailleurs (PT) – a remporté les élections présidentielles d’une courte tête : 50,9 %. Son adversaire, le président sortant Jair Bolsonaro (extrême droite), a déjoué tous les sondages au premier tour, puis a progressé de 6 millions de voix entre les deux tours, contre 2,6 millions pour Lula.
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Ce résultat reflète l’énorme polarisation de la société brésilienne, d’une part, et d’autre part la défiance d’une large fraction des masses exploitées à l’égard de Lula, non sans raison.
Démagogie contre modération
Bolsonaro a reçu le soutien enthousiaste de l’industrie agroalimentaire, qui a largement bénéficié de sa politique – désastreuse, sur le plan environnemental. De même, une bonne partie de l’appareil d’Etat l’a soutenu. Le jour du scrutin, la police fédérale a tenté d’empêcher des électeurs pro-Lula d’accéder aux bureaux de vote. Mais surtout, Bolsonaro a déployé une démagogie « radicale », pendant la campagne électorale. Face à la modération de Lula, il s’est présenté comme le candidat « anti-système ». C’est ce qui lui a permis de gagner les suffrages des couches les plus arriérées de la classe ouvrière.
La situation sociale du Brésil est désastreuse. 33 millions de Brésiliens sont sous-alimentés, pendant que le nombre de multimillionnaires ne cesse d’augmenter. Si Lula avait fait campagne sur un programme de rupture avec l’ordre établi, il aurait privé Bolsonaro d’une bonne partie de son électorat le plus populaire.
Mais non : le candidat du PT s’est contenté de bénéficier du rejet que suscite Bolsonaro dans une large fraction de la jeunesse et de la classe ouvrière. Il a fait campagne sur un programme de défense des « institutions », ces mêmes institutions bourgeoises qui l’ont injustement condamné à 18 mois de prison, en 2018. Lula s’est ingénié à montrer qu’il était digne de la confiance de la classe dirigeante brésilienne, mais aussi des impérialistes. Biden et Macron se sont d’ailleurs publiquement réjoui de sa victoire, car ils voyaient dans Bolsonaro un dangereux facteur d’instabilité politique et sociale.
Lula a été jusqu’à prendre comme candidat à la vice-présidence le très droitier Gerardo Alckmin, connu pour sa brutale répression d’un mouvement social à São Paulo, en 2013, et pour avoir soutenu le putsch constitutionnel contre Dilma Rousseff (PT), en 2016.
Cette politique de modération a été la ligne du PT dès les premiers jours du mandat du président sortant. En 2019, lorsqu’un mouvement de masse a commencé à se développer sur la base du mot d’ordre « Fora Bolsonaro ! » (« Bolsonaro, dehors ! »), les dirigeants du PT ont exhorté les manifestants à rentrer chez eux et à « respecter le mandat démocratique de Bolsonaro ».
L’avenir du « bolsonarisme »
La bourgeoisie espérait une « transition ordonnée ». Mais dès l’annonce des résultats, des partisans de Bolsonaro ont spontanément bloqué des routes à travers tout le pays. De son côté, Bolsonaro est resté silencieux pendant 45 heures. Lorsqu’il a finalement pris la parole, le 2 novembre, il n’a pas apporté son soutien aux barrages routiers, mais il s’est bien gardé de reconnaître sa défaite. Face à la passivité des forces de police, souvent dirigées par des partisans de Bolsonaro, des électeurs de Lula se sont mobilisés pour dégager des barrages routiers, avec succès.
De nombreux électeurs de Lula ont en mémoire ses mandats présidentiels de 2003 à 2011. La croissance économique, à l’époque, lui avait permis d’augmenter les salaires et de mettre en œuvre un certain nombre de réformes progressistes – tout en défendant le pouvoir, les intérêts et les privilèges de la classe dirigeante (et des impérialistes). Mais cette époque de croissance, précisément, est révolue.
Quelques jours avant le second tour, Lula a publié une « Lettre pour le Brésil de demain », dans laquelle il parle de « démocratie » et d’« espoir », tout en affirmant qu’il est « possible de combiner responsabilité fiscale, réduction de la dette publique, responsabilité sociale et développement durable. » Dans le contexte actuel de profonde crise du capitalisme, la « responsabilité fiscale » et la « réduction de la dette publique » ne pourront se traduire que par des politiques d’austérité et des attaques contre la classe ouvrière. En refusant de s’attaquer au capitalisme lui-même, Lula se condamne à appliquer le programme réactionnaire de la classe dirigeante.
Une telle politique donnera du grain à moudre à la démagogie de Bolsonaro, qui prétend défendre le « peuple » contre le « statu-quo ». L’extrême-droite a été battue dans les urnes, mais elle n’est pas morte, et elle risque de progresser si aucune alternative aux politiques d’austérité ne vient de la gauche. Comme l’a montré l’épisode des barrages routiers, les masses brésiliennes ne peuvent pas faire confiance aux institutions de la bourgeoisie brésilienne. Elles ont besoin d’un programme de classe indépendant pour jeter l’extrême-droite – et le capitalisme – dans les poubelles de l’histoire.