Au Brésil, le gouvernement de Bolsonaro est fracturé, traversé par des scissions et des crises. La classe dirigeante est désespérément divisée sur la gestion de la pandémie de coronavirus et face à l’effondrement économique auquel le pays est confronté. Article publié le 24 avril 2020 par Esquerda Marxista.
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Le dimanche 19 avril, Bolsonaro a participé à une manifestation qui revendiquait une intervention militaire, la fermeture du Congrès, la fin de la distanciation sociale et la réouverture des entreprises et des commerces. Cela a provoqué l’indignation des ministres de la Cour suprême (STF), des représentants du congrès, des sénateurs (dont le président de la chambre des représentants, Rodrigo Maia) du secteur des affaires, des médias et d’autres couches de la bourgeoisie.
Bolsonaro n’a pas seulement assisté à la manifestation. Lors d’un discours, il a déclaré qu’il ne voulait « rien négocier » avec le congrès. Usant de sa démagogie habituelle, il a aussi proclamé : « maintenant le peuple a le pouvoir ». Cet épisode a contribué à accentuer l’isolement du gouvernement ; il s’isole des masses, mais aussi des autres couches de la bourgeoisie.
Les jours suivants, les tensions se sont intensifiées de manière significative. Lorsque des journalistes l’interrogèrent quant à sa participation à la manifestation, Bolsonaro a attaqué la presse, a déclaré qu’il n’avait jamais rien dit allant à l’encontre de la démocratie, et a conclu en paraphrasant Louis XIV : « je suis la constitution ».
Cependant, comme disait Marx, « tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire, deux fois (…) la première fois comme une tragédie, la deuxième fois comme une farce ». En déclarant « l’Etat c’est moi », le Roi-Soleil parlait du pouvoir de la monarchie absolutiste française et de la force de l’Etat moderne, né sous son règne. Dans le cas de Bolsonaro, c’est le cri de désespoir d’un homme qui a échoué à devenir « le nouveau Bonaparte » – celui qui devait rivaliser avec d’autres institutions (et même ses propres ministres) pour gouverner.
Deux éléments centraux contribuent à l’exacerbation des tensions. Premièrement, le désaccord quant à la manière de faire face à la pandémie de COVID-19 et à ses conséquences sociales et économiques. Deuxièmement, comment faire face à la crise économique elle-même, qui a déjà un impact et approfondira les dommages causés au Brésil.
La pression amène l’exécutif à se confronter directement aux autres pouvoirs de l’Etat. Un bras de fer est engagé pour le contrôle du pays. Ces divergences existaient déjà auparavant. Par exemple, sur la question de la publication des « amendements parlementaires » : après la validation par le congrès de financements pour la réalisation de travaux, la question était de savoir si ceux-ci seraient placés sous le contrôle de l’exécutif ou du congrès lui-même. À côté de cela, il existe plusieurs conflits avec la justice concernant différentes procédures impliquant des membres de l’ancien parti de Bolsonaro – le parti social libéral (PSL) – qui viennent de l’aile du parti qui a rompu avec Bolsonaro et ses enfants, sous accusations de corruption et d’accointance avec la milice. Maintenant, pour le gouvernement, les choses vont de mal en pis.
Bolosonaro critique fortement les mesures de distanciation sociale, même si elles sont loin d’être aussi strictes que dans d’autres pays, comme la Chine, l’Italie ou l’Allemagne. Avec cette rhétorique, il cherche à se dédouaner des conséquences économiques de la crise, mais aussi à s’adresser aux petites et moyennes entreprises et aux commerces de détail. En effet, ceux-ci font faillite à cause des mesures de quarantaine mises en place par les Etats.
Début avril, Bolsonaro a déjà subi une défaite lorsque la Cour suprême a interdit au gouvernement d’aller à l’encontre des décisions prises par les gouverneurs et les maires. Ces derniers mettaient en place des mesures d’isolement social, fermaient les écoles et commerces, afin de lutter contre la propagation du coronavirus.
Au Congrès national, la dernière défaite de Bolsonaro a été le vote d’une aide de 90 milliards de reais, afin d’aider les Etats et les municipalités. L’aide a été préparée par la chambre des représentants contre la volonté du président. Elle consiste en un remboursement d’impôts aux Etats et aux municipalités en raison des mesures de quarantaine et de distanciation sociale.
Cependant, en dépit de certains conflits, le congrès soutient les mesures économiques du gouvernement, les attaques contre les travailleurs, ainsi que les décisions de la banque centrale de faire des « transactions » impliquant des titres pourris sur le marché financier. Cet amendement à la constitution a également autorisé l’octroi de crédits illimités, placés sous le contrôle direct de Bolsonaro, sous prétexte de « lutter contre l’épidémie ». Le problème est que Bolsonaro veut bien plus que cela.
Allant à l’encontre de la constitution, la Cour suprême a validé la mesure provisoire permettant de réduire les salaires en réduisant le temps de travail, ainsi que l’annulation des contrats de travail avec de très faibles allocations chômage. Sur les 33 millions de travailleurs sous contrats, trois millions sont déjà touchés par la mesure, soit 10 % du nombre total de travailleurs. Le nombre de ceux qui ont perdu leur emploi n’est pas encore sorti, mais sera encore plus élevé. Sans surprise, la bourgeoisie fait pression pour que cette mesure se poursuive « après la crise ».
Les Paladins de la démocratie
La bourgeoisie a compris le message de Bolsonaro et s’acharne contre le président depuis dimanche. Dans son éditorial du 23 avril, l’Etat de San Paolo explique son point de vue :
« La démocratie est menacée lorsqu’un président utilise l’audience et l’importance institutionnelle de son poste, afin d’attaquer d’autres pouvoirs, comme Bolsonaro le fait ; elle est menacée lorsque des militants virtuels, certains siégeant au palais Planalto (palais présidentiel), manipulent l’opinion publique avec des mensonges de toutes sortes pour démoraliser l’opposition ; elle est menacée lorsque le président criminalise le système politique, en suggérant que “la volonté du peuple” doit être exclusivement représentée par lui-même et doit être satisfaite sans aucune discussion. »
D’autres journaux, inquiétés par cette « volonté du peuple » citée dans le discours du président, se sont attelés à expliquer que le congrès national en était déjà l’expression. Ce raisonnement, partagé par la quasi-totalité de la presse traditionnelle, exprime une idée centrale : il faut préserver la « démocratie », c’est-à-dire les institutions bourgeoises.
Destitution
La destitution de Bolsonaro a de nouveau fait la une des journaux, accompagnée des préoccupations unanimes des commentateurs concernant son successeur. Personne ne peut imaginer l’allure que prendrait un nouveau gouvernement ni imaginer un remplaçant capable de contrôler la situation. Mais la bourgeoisie n’écarte pas cette possibilité et cette carte pourrait être utilisée si c’est la seule issue pour sauver le système.
Dans cette tâche, la classe dominante a des alliés de poids. Le principal est Luiz Inácio Lula da Silva. Lula, qui encore hier affirmait que ce n’était pas le moment pour le slogan « Fora Bolsonaro » (dehors Bolsonaro), propose désormais non seulement de répondre à l’appel de la bourgeoisie, mais a aussi rejoint l’ancien Président Fernando Henrique Cardoso « sur le podium » le 1er mai pour parler contre Bolsonaro – et pour, bien sûr, défendre la démocratie. La position du Parti des Travailleurs (PT) a changé radicalement. Il cherche maintenant à limiter l’espace pour un mouvement indépendant de la classe ouvrière et de la jeunesse en créant une barrière contre l’explosion révolutionnaire que tout le monde prédit. Le message de Lula est franc :
« Nous devons commencer à dire “Fora Bolsonaro”, car nous ne pouvons pas le laisser détruire la démocratie. Les institutions devraient déjà avoir réagi ».
Lula et le (PT) ont repris le slogan « Fora Bolsonaro » par pur opportunisme, car ils cherchent à sauver les institutions – ce que la bourgeoisie veut – mais par une autre méthode supposément plus radicale. Le véritable but de ce traître de la classe ouvrière est d’utiliser son autorité pour canaliser le mécontentement populaire contre Bolsonaro et sauver l’Etat bourgeois. La manœuvre a pour but de créer un « front démocratique », qui – agissant à l’intérieur des institutions actuelles – cherche à destituer le président par la voie parlementaire, sapant la nécessité d’une lutte révolutionnaire.
Les dirigeants actuels de la classe ouvrière se déplacent rapidement vers la droite, et c’est la seule voie qu’ils vont suivre, peu importe à quel point ils semblent « révolutionnaires ».
Le « bon » bourgeois et la classe ouvrière
Au milieu de ces crises, les bourgeois, qui seraient inquiets pour la population, usent du discours qu’il serait temps de penser au pays, à la pandémie, etc. Il nous faut comprendre que cette bourgeoisie plus « rationnelle » ne cherche qu’à se sauver elle-même et, de ce fait, n’est pas à l’abri des pressions du marché.
Des gouverneurs comme João Doria (PSDB) de São Paulo essaient de mettre en place le confinement pour réduire l’impact de la pandémie. Il sait que sa réputation et sa carrière politique sont en jeu. Il sait également que même s’il peut contenir l’inquiétude de la population et minimiser le nombre de décès, beaucoup mourront quand même. Par contre, le capital constant (les machines et équipements) sera conservé, ce qui veut dire que la production pourra reprendre bientôt malgré tout. Doria a présenté son plan pour la reprise des activités commerciales et des petites entreprises. Il a en même temps déclaré qu’il pourrait être nécessaire de retarder cette décision si le nombre de morts augmente.
A l’inverse, dans l’Etat de Santa Catarina, le gouverneur Carlos Moisés (PSL) autorise l’ouverture des centres commerciaux et des autres activités commerciales. Cela va provoquer de grands rassemblements et créer un environnement qui va aider le virus à s’étendre. Le gouverneur du district fédéral a importé des kits de test pour le virus et commence à faire redémarrer la production. A Rio de Janeiro, après avoir annoncé une reprise partielle, le gouverneur a été forcé de reculer à cause du nombre de morts.
La première motivation de toutes ces personnes est de sauver le capitalisme. Ils s’appuient sur les manœuvres du PT et la passivité des directions syndicales, qui ont signé et validé les accords sur les baisses de salaires. Les patrons qui ont été capables d’arrêter la production vont sentir à un certain moment l’impact de l’effondrement de l’économie mondiale et vont devoir redémarrer la production pour survivre. Avec ou sans la pandémie, ils vont essayer de reprendre leurs activités.
La plus grosse inquiétude de cette couche de la classe dirigeante est l’impact politique de cette pandémie. Aucun bourgeois sensé ne veut faire face à la fureur généralisée de ceux qui perdent leur travail, qui perdent de la famille et des amis, ou qui risquent leur vie pour maintenir les profits des patrons. Comme nous l’expliquions dans un autre article :
« Dans ces conditions, la “grippe” de Trump et Bolsonaro – pour ne nommer que deux manifestations politiques de la décadence de la bourgeoisie – pose des problèmes d’une telle ampleur qu’il ne s’agit plus pour la bourgeoisie d’admettre une baisse des profits, mais plutôt d’éviter immédiatement, à n’importe quel prix, une rupture dans l’ordre social à l’échelle nationale et internationale. En plus des morts qui auraient pu être évitées, en plus de la souffrance causée par le chômage qui explose, à moyen et long terme, l’addition sera présentée aux travailleurs. »
Les images des fosses communes creusées à Manaus dans l’Etat d’Amazonas ont marqué profondément la conscience des masses. Ces images rappellent les scènes des camions de l’armée, transportant les morts du coronavirus en Italie ; ou les images des corps jetés dans la rue en Equateur parce que le nombre de victimes de la maladie est supérieur à ce que peuvent supporter non seulement le système de santé, mais aussi les pompes funèbres.
Toute cette souffrance sera imputée au capitalisme, et les patrons le savent.
Moro quitte le gouvernement
Mardi 21 avril, la justice a lancé une nouvelle offensive contre Bolsonaro. Le ministre de la Cour suprême, Alexandre de Moraes, a décidé de donner suite à la demande du procureur de la République, Augusto Aras, d’ouvrir une enquête pour investiguer sur « les faits relatifs aux actes criminels » impliquant l’organisation des événements du dimanche 19 avril. On sait depuis le commencement des enquêtes de la commission parlementaire sur les Fake News que les enfants de Bolsonaro sont directement liés à la création et à la promotion de pages pro-Bolsonaro qui attaquent la justice et le Congrès et qui appellent à des manifestations pro-gouvernementales.
Deux jours plus tard, le ministre de la Cour Suprême, Celso de Mello, a fixé un délai de 10 jours à Rodrigo Maia pour lui soumettre des informations sur une demande de destitution contre Bolsonaro.
Le même jour, le 23 avril, Bolsonaro a décidé de limoger le Directeur général de la police fédérale, Maurício Valeixo, le lieutenant le plus fiable du ministre de la Justice, Sérgio Moro. Le lendemain, Moro, le ministre qui a donné de la légitimité au gouvernement, a démissionné. Les conséquences politiques pourraient être désastreuses pour le gouvernement de Bolsonaro.
L’ancien ministre de la Justice a salué l’autonomie donnée à la police fédérale par les anciens gouvernements de Lula et Dilma. La grande alliance nationale pour la défense de l’Etat de droit démocratique (c’est-à-dire de l’Etat bourgeois) rassemble le PT, le PSDB et même Moro.
La crise mondiale du capitalisme précipitée par la pandémie de coronavirus secoue le monde entier. Il n’y a pas un seul pays qui sortira indemne de cette situation. Pendant que la bourgeoisie est divisée dans ces tentatives de sauver son régime, la classe ouvrière souffre du chômage, de la pauvreté, des morts du Covid-19, etc.
Pendant que les dirigeants de gauche cherchent à semer la confusion et à empêcher les masses de s’organiser elles-mêmes indépendamment de la bourgeoisie, la tâche des marxistes dans la période est précisément d’aider les masses à s’organiser. Pour cela, nous devons nous atteler à la construction des comités d’action Fora Bolsonaro, organiser des meetings en ligne et gagner le maximum de travailleurs radicalisés et de jeunes à la Gauche marxiste. Nous entrons dans une période de révolution et de contre-révolution, pour laquelle la seule issue est la révolution socialiste. Notre tâche est de préparer la direction qui, avec la classe ouvrière, mettra fin au capitalisme.